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N°42                                Le cahier bleu






                      Elle attendait sur le quai. Elle repensait aux derniers jours passés avec celles qu’elle

               avait considérées comme ses amies. Un malaise persistait en elle. Ses pensées furent
               interrompues par l’arrivée du train. La porte s’ouvrit, elle mit un pied sur la première marche,

               leva la tête et s’arrêta brusquement.

                      Elle se fit bousculer par les voyageurs qui descendaient, mais elle, indifférente à
               l’agitation, sans quitter des yeux le dos d’une femme qui s’éloignait déjà, après un moment de

               paralysie, posa sa valise et se mit à la suivre, guidée par la chevelure un peu rousse qui
               réapparaissait ici puis là, lumineuse. Mais comme dans les mauvais rêves, elle avait beau

               presser le pas, presque courir, la densité de la foule et la distance entre elles semblaient

               augmenter. Elle voulut forcer le passage, heurta des bagages et des corps.
                      -   Mais qu’est-ce qu’elle a celle-là ?

                      -   Non mais franchement.
                      -   Oh pardon.

                      -   C’est pas celle de tout à l’heure ?

                      Sur la rampe en pente douce qui descendait du quai vers le souterrain elle la perdit de
               vue, et arrivée en bas, elle hésita. Le flux se divisait en deux, le courant principal se dirigeant

               vers la gauche. Elle choisit la droite pour forcer l’allure, arriva sur le trottoir étroit d’un
               boulevard où il n’y avait quasiment plus personne. Les coffres se refermaient, les portières

               claquaient, les voitures démarraient. Cette silhouette à contre-jour assise dans la voiture
               enfuie ? Elle revint sur ses pas, monta quatre à quatre l’escalier vers le hall en rotonde, sortit

               sur le parvis. Chacun s’en allait sans elle. Elle courut vers une femme penchée qui déposait

               son sac à l’arrière d’une voiture, mais non, rien à voir. Et plus loin, à la station des bus, et
               dans le tram à l’arrêt ?

                      Tout à coup elle est de nouveau entourée de gens, tous tournés vers les grandes portes
               en verre du hall principal, immobiles, empêchés par un mince ruban de plastique rouge et

               blanc qui interdit l’entrée. Elle coupe en diagonale les rangs attentifs, dérange, s’excuse,

               dévisage les femmes, n’écoute pas.
                      -   Que se passe-t-il ?

                      -   Ils ont dit quelque chose.
                      -   Une valise oubliée je crois.



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