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‒ « Votre billet, s'il vous plaît »
Après l'avoir vérifié et poinçonné, le contrôleur s'éloigna vers d'autres voyageurs.
Gabriel ! Il représentait toute son adolescence. ses parents, parisiens, louaient à chaque
vacances scolaires, une petite maison au « bois d'Isis », à Tréboul. Il allait la chercher, à peine
arrivé. Ils étaient inséparables, sous les regards bienveillants de leurs parents. Que de souvenirs :
promenades à vélo, bains de mer, pique-niques, après-midi dansants et parfois costumés au dancing
de La Frégate, ils avaient tout fait ensemble ! Puis, il eut une petite moto ! Elle se rappelait ses
sensations lors de leurs promenades aux « Roches Blanches », où ils allaient nager dans une piscine
naturelle, elle, blottie contre lui, ses bras entourant son torse, sa poitrine plaquée contre son dos.
Puis, il eut un voilier, un « vaurien », avec lequel, ils naviguaient avec Agathe. Anaïs, elle, n'était
pas fan.
Durant toutes ces années, elle s'était de plus en plus attachée à lui. Il avait été son premier
amour, et elle aurait tant aimé qu'il soit aussi son premier amant. Mais, ils étaient inexpérimentés et
beaucoup trop timorés, l'un et l'autre, et n'avaient eu qu'un flirt poussé, le dernier été. Tout à son
bonheur, elle n'avait pas su percevoir la jalousie d'Agathe. Puis ce fut la séparation, après le bac, par
le choix des études, elle, en fac d'Anglais à Brest et lui, hésitant entre l'armée et le droit, à Paris.
Leur dernière rencontre avait eu lieu au mois d'octobre, sur la plage des Sables-Blancs. Elle
s'y promenait avec ses deux amies quand elle l'avait entendu l'appeler par son prénom. Elle s'était
retournée, surprise, et l'avait vu. Debout sur le muret du terre-plein, grand, brun, élancé, il occupait
l'espace et souplement, avait sauté sur le sable pour la prendre dans ses bras en l'embrassant
tendrement.
‒ « Je voulais te voir » , avait-il dit, je suis dans l'armée, pour un essai chez les parachutistes.
J'ai une toute petite permission et je repars ce soir. »
Son cœur avait chaviré, elle était restée muette un moment, bouleversée par l'émotion. Elle n'
oublierai jamais cet instant, mais n'avait pas su oser lui avouer son amour. Elle n'avait plus éprouvé
une telle attirance et de tels sentiments, depuis. Ses relations masculines étaient toujours restées
éphémères. Elle n’arrivait pas à s'investir, et avait la très nette sensation de n'avoir vécu qu'un désert
amoureux
« Quel gâchis ! ». Et si c'était vraiment lui, ce passager mystérieux de l'autre côté du
wagon ? Il lui suffisait de traverser le couloir, pour le savoir !
‒ « Courage, ma fille ! Ose ! Vas-y ! »
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