Page 258 - tmp
P. 258
paysage à travers la vitre. Elle ferma les yeux et se mit à réfléchir. Depuis
l’instauration du STO, en ce début d’année 43, on menait des actions de guérilla
partout contre l’occupant et contre les autorités de Vichy. La Résistance s’était
organisée. Mais les Allemands traquaient les clandestins et usaient de représailles
abominables dès qu’un sabotage les avait touchés. Ils n’épargnaient pas les enfants,
ni les femmes. Les Juifs et les Communistes étaient activement recherchés.
Avait-elle été suivie ? Mais oui, bien sûr ! Jeanne et Martine avaient dû
raconter à l’officier allemand que Brigitte faisait des allers–retours fréquents jusqu’à
Marseille. Que ne faisait-on pas pour une bicyclette ou un saucisson ! Elle comprit
vite qu’elle était en danger. Elle devait se débarrasser des pièces compromettantes
cachées dans la valise. Comment faire ? On lui avait appris à tout détruire en cas de
doute pour sa propre sécurité. Mais cela paraîtrait suspect qu’elle aille aux toilettes
avec sa valise. Elle ouvrit les yeux, laissa échapper un soupir puis se reprit et bailla
comme si elle s’ennuyait. Que feraient Yvon et Simone dans un moment pareil ?
C’était eux qui l’avaient recrutée malgré son jeune âge ou plutôt pour son jeune âge.
Ils l’avaient contactée six mois plus tôt pour conduire cinq fillettes de trois à sept ans
dans une famille protestante en Corrèze. Elle avait ainsi soustrait aux Nazis un butin
toujours plus lourd d’enfants destinés à la mort. Aujourd’hui, elle devait remettre une
enveloppe à un certain Julien qui la contacterait en temps voulu. On lui avait donné
un billet de train pour Marseille en lui disant que moins elle en saurait, mieux ce
serait. Elle transportait des documents destinés à aider les Alliés et des tracts pour la
population des grandes villes. Elle avait confiance. Sa propre mère ne savait rien de
tout ça. Quand la ferme avait été envahie de soldats allemands, elle avait eu peur
pour sa fille. Ce qui avait permis à Sarah d’accepter cette mission en lui faisant croire
qu’elle serait certainement plus en sécurité chez sa tante à Marseille.
A présent, son esprit bouillonnait ; elle devait trouver une issue. Mais la peur
l’épuisait. Peu à peu, sa tête glissait sur la vitre et, bercée par le tcha-tcha-tcha du
train, elle s’endormit.
Au bout d’un long moment, l’homme et la femme échangèrent un regard
complice. La femme se leva lentement et allongea l’enfant sur la banquette en face
d’elle. Il poussa un soupir puis se retourna et se rendormit. Faisant mine de
ramasser le doudou qui était par terre, la femme saisit la valise rangée sous le
siège. Elle l’ouvrit sans faire de bruit, plongea la main à l’intérieur et en sortit une
4

