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paysage à  travers la vitre. Elle ferma les yeux et se  mit à réfléchir. Depuis
               l’instauration du STO, en ce début d’année 43, on menait  des actions de  guérilla

               partout contre l’occupant et contre les  autorités de  Vichy.  La  Résistance s’était
               organisée. Mais les Allemands traquaient les clandestins et usaient de représailles

               abominables dès qu’un sabotage les avait touchés. Ils n’épargnaient pas les enfants,

               ni les femmes.  Les Juifs et les Communistes étaient activement recherchés.
                      Avait-elle été suivie ? Mais oui, bien sûr !  Jeanne et  Martine avaient  dû

               raconter à l’officier allemand que Brigitte faisait des allers–retours fréquents jusqu’à
               Marseille. Que ne faisait-on pas pour une bicyclette ou un saucisson !  Elle comprit

               vite qu’elle était en danger. Elle devait se débarrasser des pièces compromettantes

               cachées dans la valise. Comment faire ? On lui avait appris à tout détruire en cas de
               doute pour sa propre sécurité. Mais cela paraîtrait suspect qu’elle aille aux toilettes

               avec sa valise. Elle ouvrit les yeux, laissa échapper un soupir puis se reprit et bailla
               comme si elle s’ennuyait. Que  feraient Yvon et Simone dans un moment pareil ?

               C’était eux qui l’avaient recrutée malgré son jeune âge ou plutôt pour son jeune âge.

               Ils l’avaient  contactée six mois plus tôt pour conduire cinq fillettes de trois à sept ans
               dans une famille protestante en Corrèze. Elle avait ainsi soustrait aux Nazis un butin

               toujours plus lourd d’enfants destinés à la mort. Aujourd’hui, elle devait remettre une
               enveloppe à un certain Julien qui la contacterait en temps voulu. On lui avait donné

               un billet de train pour Marseille en lui disant que moins elle en  saurait,  mieux ce
               serait. Elle transportait des documents destinés à aider les Alliés et des tracts pour la

               population des grandes villes. Elle avait confiance. Sa propre mère ne savait rien de

               tout ça. Quand la ferme avait été envahie de soldats allemands, elle avait eu peur
               pour sa fille. Ce qui avait permis à Sarah d’accepter cette mission en lui faisant croire

               qu’elle serait certainement plus en sécurité chez sa tante à Marseille.
               A présent, son esprit bouillonnait ; elle devait trouver  une issue. Mais la peur

               l’épuisait.  Peu à peu, sa tête glissait sur la vitre et, bercée par le tcha-tcha-tcha du

               train,  elle s’endormit.
                      Au  bout  d’un long moment, l’homme et la femme échangèrent un regard

               complice. La femme se leva lentement et allongea l’enfant sur la banquette en face
               d’elle. Il poussa un  soupir puis se retourna et se rendormit.  Faisant  mine de

               ramasser le  doudou  qui était par terre,  la femme saisit  la valise rangée sous le

               siège. Elle l’ouvrit sans faire de bruit, plongea la main à l’intérieur et en sortit une






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