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-      Oh, j’aurai  15 ans dans deux mois  et  puis il y  a  toujours  des gens
                      comme vous pour veiller sur nous, n’est-ce pas ? répondit-elle d’une  voix

                      ingénue.
               On entendit alors quelqu’un tempêter.

                      -      Mais qu’est-ce que tu fous, Etienne ? Magne-toi ! On descend là !

               Aussitôt, deux autres miliciens surgirent devant elle. Ils la virent : elle était jolie et cet
               abruti d’Etienne qui ne la laissait pas passer.

                      -      Montez vite, Mademoiselle, le train va partir et  nous,  hélas, nous

                      descendons, dit le plus grand d’entre eux qui semblait être le chef.
               Elle s’enhardit et s’excusa d’avoir retardé Monsieur Etienne par son bavardage.  Ce

               dernier enjamba sa valise et suivit ses deux camarades qui étaient déjà sur le quai.
               Elle fit un signe de la main depuis la portière du train comme pour dire au revoir à un

               ami. Elle sentait la sueur couler dans son dos le long de sa colonne vertébrale. Le
               train s’ébroua. Alors elle s’engagea  dans le couloir et ouvrit la  porte du premier

               compartiment. La  banquette  était occupée par un couple ; un  petit ange blond

               dormait, la tête sur les genoux de sa mère, serrant dans ses bras son doudou, un
               petit lapin blanc avec un  gros ventre rose. L’homme se leva immédiatement et la

               salua en la gratifiant  d’un « Fraulein » qui la fit frissonner.  Il était trop tard pour
               rebrousser chemin.  Elle demanda à voix basse si  elle pouvait s’asseoir en face

               d’eux, près de la fenêtre.
                      -      Bien sûr, c’est libre,   chuchota la jeune femme en veillant à ne pas

                      réveiller le petit garçon.

               Elle remercia et sourit en regardant l’enfant, puis elle  fit glisser sa valise sous la
               banquette, avant  de s’asseoir. Elle pensa qu’il lui faudrait redoubler  de prudence.

               Rien ne devait la trahir. Cet homme était peut-être un membre de la Gestapo en civil.

               Et la femme qui l’accompagnait, devait être sa maîtresse… Une Française, blonde
               bien sûr, de celles qui, comme Jeanne et Martine,  pactisent avec l’ennemi. L’homme

               était grand, brun, et ses yeux bleus semblaient sonder le fond de votre être. Il était
               glaçant.

                      Elle essaya de se détendre en regardant par la fenêtre le paysage qui défilait.
               Elle  repensa à   ses  deux amies.  Comme elle  s’était trompée  sur elles.  La guerre

               révélait le vrai visage de chacun. Il n’y avait pas si longtemps, elles formaient un trio

               inséparable.  Et voilà  qu’hier ces deux-là avaient  dévoilé leur sympathie  pour les
               Allemands qu’elles trouvaient  si polis et si courtois. Pour ne pas sembler en




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