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désaccord avec elles, Brigitte s’était sentie obligée d’ajouter « et si beaux, avec
ça ! ». Et Jeanne avait affirmé que l’étoile jaune en zone occupée, ça n’était pas
grand chose et qu’on faisait finalement beaucoup de bruit pour rien. Puis, Martine
avait montré sa belle bicyclette rose qu’un officier lui avait offerte. « Pour presque
rien », avait-elle précisé malicieusement. Et toutes les trois s’étaient esclaffées. Ce
« presque » l’avait hantée toute la journée. C’est alors qu’elles avaient questionné
Brigitte sur ses voyages. Et Martine l’avait taquinée : « Avait–elle un amoureux à
Marseille pour y aller si souvent ? » Brigitte avait laissé planer le doute en mimant la
gêne et en gloussant. Mais si elles avaient su qu’elles avaient en face d’elle une
Résistante qui s’appelait Sarah ! Une Sarah tout de même anéantie quand ses deux
amies de collège avaient parlé des décrets mis en place par le Gouvernement de
Vichy : « Allons, Brigitte, c’est pour le bien des Français ». Brigitte avait mollement
acquiescé mais Sarah avait frissonné.
Si elles avaient su ce qui se trouvait dans sa valise. Son pied droit alla
machinalement vérifier sous la banquette si elle était toujours à sa place. La sueur
coula à nouveau dans son dos. L’homme et la femme l’observaient à la dérobée
mais Sarah avait maintenant l’habitude de saisir ce qui se passait autour d’elle sans
avoir l’air de rien. L’enfant dormait profondément. Il devait avoir deux ou trois ans.
Elle regarda par la fenêtre. Elle voyait le paysage défiler et en surimpression le
visage de l’homme sur la vitre. Elle ferma les yeux et fit mine de s’assoupir. C’était
sa cinquième mission, mais elle ne s’habituait pas au danger. De plus en plus de
gens frayaient avec l’ennemi. Elle devait rester sur ses gardes. Le double fond de la
valise, indétectable, abritait les tracts et les documents du réseau. Seule la photo
sur sa nouvelle carte d’identité l’inquiétait. Si l’on y regardait de près, on verrait que
le grain de beauté qu’elle avait sur la pommette gauche avait été inversé. Mais on
n’avait pas eu le temps de refaire les papiers d’identité. Bien sûr, ce n’était pas elle
sur la photo. Cependant, Brigitte Garnier, avec sa frange et ses nattes, lui
ressemblait beaucoup. Sarah, qui avait dix-sept ans, avait adopté sa coiffure et elle
avait les mêmes fossettes quand elle souriait.
L’enfant se mit à pleurnicher ; il avait dû faire un mauvais rêve. Alors la femme
entonna une berceuse en allemand. Schlaf kindlein, schlaf… Sarah sentit son cœur
battre si fort qu’elle eut peur qu’on l’entendît. Cette femme qui parlait un français
sans accent quand elle lui avait répondu tout à l’heure … voilà qu’elle chantait
maintenant en allemand ! L’homme l’épiait toujours, faisant mine de regarder le
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