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N° 31



                                                   Fleur de blé noir



             « Elle attendait sur le quai. Elle repensait aux derniers jours passés avec celles qu'elle
            avait considérées comme ses amies. Un malaise persistait en elle.

            Ses pensées furent interrompues par l'arrivée du train.

            La porte s'ouvrit, elle mit un pied sur la  première marche, leva la tête et s'arrêta
            brusquement. »

            Fit marche  arrière, reposa le  pied sur le  quai, recula difficilement  bousculée par les
            voyageurs impatients et surpris « Qu'est-ce qu'elle fait celle là ? »  grommela un

            quinquagénaire poivre et sel. Elle ne répondit pas, recula encore pour se dégager bien à

            l'écart du train...

            Et  à  présent  elle  est là, assise sur ce banc de  bois face  à l'Océan. Devant elle des

            bateaux gîtent et clapotent en cadence. Dans une annexe blanche un homme à casquette
            s'active. Un balai dans la main  gauche, un tuyau vert dans la droite, il lave.  Quatre

            mouettes  piaillardes planent au-dessus  du  quai. Tout  à l'heure elle s'est baladée sur le
            sentier côtier. Elle a croisé un couple de seniors se tenant par la main, un jeune homme

            en rouge sur un vélo noir, une femme avec une pince dans les cheveux.


            Elle est arrivée il y a huit mois à Penmarch. Seule. Avec une valise. La même valise bleue

            qu'elle portait il y a trois jours sur le quai de la gare de Quimper quand elle a failli prendre

            ce train.  Alevtina vient de Kharkov en Ukraine. Kharkiv comme ils disent là bas. Elle a fui
            les bombes, les Russes, sans doute aussi les Ukrainiens peuple maudit. De son périple

            pour atteindre Penmarch elle n'a rien oublié. Lviv à l'ouest de l'Ukraine, puis la Pologne
            avant l'Allemagne et  enfin la France. Voitures, cars, trains, trains de nuit  ou  du matin,

            sirènes hurlantes, immeubles écroulés, enfants dans les bras de Mamans, morts  à peine
            recouverts encore allongés sur les bas côtés de routes défoncées. Elle se souvient de tout.

            De la petite ville rasée au  bout  de la longue ligne  droite, des chaussées crevées, des

            immeubles éventrés, des maisons calcinées .. Impossible d'oublier aussi la peur dans les


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