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N° 32 Le Quatuor Neva
Elle attendait sur le quai. Elle repensait aux derniers jours passés avec celles qu’elle avait considérées
comme ses amies. Un malaise persistait en elle. Ses pensées furent interrompues par l’arrivée du train.
La porte s’ouvrit, elle mit un pied sur la première marche, leva la tête et s’arrêta brusquement.
Toute échevelée Héléna arrivait en courant en lui faisant de grands signes de la main. Elle l’étreignit de
toutes ses forces malgré l’étui de violoncelle sanglé sur son dos et éclata en sanglots : “ je ne pouvais
pas te laisser partir comme ça, viens”
Comme un zombie,Marig se laissa entrainer hors de la gare puis dans la belle Mercédes grise garée en
dépit du bon sens. Dix minutes plus tard les deux jeunes femmes étaient installées dans l’ appartement
cossu d’Héléna qui dominait la Loire avec l’ancien petit village de Trentemoult en arrière plan. Marig
n’était pas dans un état lui permettant d’appécier ce superbe point de vue. Tout au plus avait elle noté
l’accoutrement de son amie. Celle ci, très BCBG à l’accoutumée avait du enfiler à la hâte un vieux
jogging rose pâle légèrement déchiré à un genou. Les cheveux en pétard elle continuait à ravaler ses
larmes tandis que Marig lovée dans un profond canapé beige ne parvenait pas à sortir de sa léthargie.
Le temps resta ainsi suspendu un long moment avant qu’Héléna ne propose une tasse de tilleul que
Marig accepta d’un léger sourire. Pendant qu’Héléna préparait l’infusion un film commença à se
dérouler dans sa tête.
Quinze ans plus tôt , elles formaient un groupe soudé de quatre copines unies par la pratique de la
musique et l’amour de la littérature, plus particulièrement par les auteurs russes. C’est Gabrielle qui
leur avait fait découvrir Tolstoï, Dostoïevsky,Gogol… Après les répétitions au Conservatoire c’ était
dans un café proche que chacune faisait part de ses découvertes, de ses coups de coeur et s’efforçait de
convaincre les trois autres de l’absolue nécessité de trembler sur le sort d’Anna ou de rire de
l’impayable Tchitchikov et de son abracadabrantesque histoire née de l’imagination fertile de cet auteur
au nom impayable : Gogol.
A l’entrée en classe de seconde il ne fut guère étonnant que les quatre brillantes jeunes filles décident
de choisir l’option russe comme troisième langue vivante . Leurs progrès furent rapides d’autant plus
qu’elles avaient la chance d’avoir un professeur qui avait déjà amené plusieurs de ses élèves à
l’agrégation. Cerise sur le gâteau M Komkanov était également féru de musique et dès le début de
l’apprentissage , à côté du b. a.- ba de l’écriture cyrillique il dissertait sur les chants de la liturgie
orthodoxe ou à propos des grands compositeurs russes: Prokoviev, Rachmaninov.. .
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