Page 169 - tmp
P. 169
reconnaissait Madame Brochant, leur professeure de français et, lui faisant face,
Monsieur Ramirez, le professeur de maths. Entre eux deux, une chaise vide.
- Nous t’attendions Anna Nous ne trouvons pas une pièce manquant à notre
puzzle.
- Oui Anna, dans ce ciel étoilé, où se trouve l’étoile filante ?
Elle répondait sans hésitation, comme une évidence :
- C’est moi.
Alors qu’elle cherchait à interpréter ce curieux rêve, elle remarqua un homme de dos,
accoudé au bar. « Il me rappelle la silhouette de Matthieu », pensa-t-elle en souriant
intérieurement à l’évocation du prénom de Monsieur Ramirez, si proche et si familier
tout à coup. L’image d’un tableau noir se présenta à son esprit, tableau qui peu à
peu et comme par magie se remplissait de chiffres, de plus et de moins, à la vitesse
de l’éclair. Elle revoyait le dos de ce jeune professeur, un dos aux larges épaules,
mal fagoté dans un pull marin trop étroit ; un dos légèrement voûté, peut-être par
manque d’assurance dans une classe indifférente, dans le meilleur des cas. En
revanche, ses longs doigts maintenaient avec fermeté son bout de craie. Il y avait de
la majesté, voire de la sensualité dans le déroulé d’une démonstration imparable,
assortie de courbes où elle se serait volontiers laissé glisser. Discrètement, mais
assurément, elle avait été émerveillée par ce qui se jouait devant ses yeux. Il
exécutait sa partition, tel le musicien qui, grâce à la maîtrise parfaite de son
instrument et du morceau qu’il va interpréter, n’a nul besoin de regarder ses notes. À
présent, Anna s’avouait ce qu’elle ressentait à l’époque, des sentiments qu’elle avait
enfouis, pour ne pas déplaire à ses camarades ? Mathieu, dont elle était secrètement
amoureuse songeait-elle, était plongé dans un monde peuplé de chiffres, de
symboles, de figures aux mille visages. Une droite aurait pu se briser d’émotion s’il
l’avait prise par la main pour l’initier à cette savante farandole !
- Vous pouvez régler maintenant ! Changement de service…
- Euh oui, bien sûr, bafouilla-t-elle. Je vous dois combien ?
Après avoir déposé quelques pièces sur la table, elle porta à ses lèvres la tasse de
café. Il était froid. Elle releva la tête. L’homme au comptoir avait disparu. Un miroir
lui renvoya l’image d’une jeune femme un peu décoiffée et dont le mascara avait
3

