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dix minutes à pied, ses parents avaient accepté, elle pourrait rejoindre facilement et sans
danger le lieu du stage. Les participants furent regroupés en binômes, d’un commun accord
Morgane et Rosemonde travailleraient ensemble d’un côté, Marine et Victoire de l’autre. Les
stagiaires auraient cinq jours pour réaliser une bande dessinée complète avec bulles et dessins
qu’ils ne dévoileraient aux autres qu’à l’issu du stage. Les souvenirs du premier jour dansaient
dans son esprit : leur complicité, leurs fous rires, la jalousie des autres filles, les clins d’œil de
certains garçons, les blagues désopilantes de Martin et Ludovic, ces deux adolescents avec
lesquels elles s’étaient tout de suite senties à l’aise.
Non, non, non ! Pas question de laisser passer ça ! Il fallait qu’elles s’excusent,
qu’elles lui demandent pardon comme son père l’exigeait d’elle après une rebuffade ou un
caprice. Des feux follets scintillaient dans sa mémoire, rallumant une douleur cuisante : à
genoux, ravalant sa fierté, elle étouffait ses larmes et balbutiait des mots d’excuses. Elle
n’oublierait jamais la haine et le désespoir qui l’asphyxiaient dans ces scènes d’avilissement.
Il faut qu’elles meurent de honte !
Ludovic, le grand brun avait allumé une petite lumière dans le regard de Morgane, il
ne manquait pas une occasion de déclencher son rire, ou de lui effleurer la main, ce que,
malgré sa phobie des microbes, elle acceptait volontiers. Les éclats de rire imbéciles, les
minauderies absurdes, les poses sensuelles que Morgane affichait face à ce garçon agaçaient
ses copines. Victoire bouillait et ne cessait d’envoyer des piques à Ludovic qui, vexé, la
surnomma la tarentule : « Elle est toxique grave ta copine, avec ses grosses cuisses et ses
ongles noirs on dirait une araignée. » Unis dans une tendre complicité ils se mirent à faire des
grimaces derrière le dos de Victoire qui, dans le reflet de son portable, s’en rendit compte.
En fin de stage Victoire et Marine avaient insisté pour être les dernières à présenter
leur travail sur grand écran : une petite éponge couverte de mousse qui avait la tête de
Morgane, des mains gantées de blanc et était chaussées de bottes immaculées, courait en tous
sens poursuivie par des mains poilues et des bouches gluantes couvertes de microbes et de
virus. Le visage déformé par la peur elle poussait des cris ridicules, roulait des yeux exorbités,
se débattait en agitant bras et jambes, tentait de se défendre vainement en vaporisant ses
poursuivants de désinfectants qui ne faisaient que les multiplier. Affaiblie, la langue pendante
et les yeux chassieux, elle finissait par se laisser dévorer. Ne laissant pas de place au doute le
titre de leur histoire apparaissait sur la première vignette : « Les aventures de M. l’obsédée de
la propreté ». Gênée, vexée puis franchement humiliée par les rires et les moqueries qui
fusaient, Morgane avait rougi puis s’était figée. Elle n’avait eu que mépris pour les regards
désolés et les paroles de réconfort. Si, c’est grave ! Non ce n’est pas une plaisanterie. C’est
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