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Le père de Marine, qui avait accepté une mutation, avait entraîné toute la famille dans
le tourbillon d’un déménagement expéditif qui n’avait laissé aucune place aux protestations
véhémentes de ses deux filles.
Rosemonde aussi avait dû suivre ses parents, mais d’un naturel plutôt farouche, elle
s’était réjouie de pouvoir occuper une chambre sous les toits, loin de la présence encombrante
de ses parents. Sa mère venait d’hériter d’une grande maison familiale, où chacun aurait sa
chambre, les quatre enfants avaient donc fini par accepter de quitter l’appartement étroit du
centre ville.
Victoire, enfant unique, n’avait pas vraiment eu le choix non plus. Après s’être
acoquinée avec une bande de jeunes tagueurs qui aimaient se lancer des défis, elle avait
commis quelques « bêtises » : vols à l’étalage et excès de vitesse sur les mobylettes des
copains. Rien de très grave néanmoins on avait fortement conseillé à ses parents de l’éloigner
de ses amis avant que ces infractions ne deviennent beaucoup plus sérieuses. Elle avait promis
de s’assagir, mais elle avait dû âprement négocier l’autorisation de pratiquer tranquillement sa
passion pour le dessin.
La mère de Morgane, qui avait obtenu la garde de ses enfants après un divorce
orageux, avait voulu éloigner ses filles d’un père sévère et tyrannique qui, l’adolescence
venue, les lorgnait d’un regard un peu trop lubrique à son goût. Elle avait subi les frasques de
son mari sans protester, mais quand il s’était agi de protéger ses filles, la victime soumise
s’était transformée en virago.
Non ! Le feu lui montait au visage comme une gifle cinglante, des bouffées
d’indignation l’étouffaient. Elle tourna le dos à la gare, elle voulait rayer le souvenir de leur
joyeuse camaraderie.
C’était sur ce quai que les quatre adolescentes s’étaient retrouvées, au terme de cette
première journée de classe, pour attendre le RER qui les ramènerait chez elles. Ce trajet
partagé matin et soir avait scellé leur amitié, le train était devenu le cocon dans lequel elles se
sentaient à l’aise pour médire sur les profs, critiquer leurs camarades, ou se plaindre de leurs
parents. Elles marmonnaient, soupiraient, ou pouffaient de rire aux moqueries de Marine qui
avait l’art de repérer un nez busqué, une moustache trop fournie ou une jupe à fleurs. Plus
réservée que ses camarades, Morgane avait hésité à partager leur arrogance, mais elle ne
baissait plus les yeux devant les regards appuyés et désapprobateurs des autres passagers.
C’était dans le refuge d’un wagon que les quatre copines avaient décidé de changer de prénom.
Elles s’estimaient affublées de noms grotesques qui ne leur correspondaient en rien.
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