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N° 22                               Le camée



               Elle attendait sur le quai. Elle repensait aux derniers jours passés
               avec celles qu’elle avait considérées comme ses amies. Un malaise persistait

               en elle.
               Ses pensées furent interrompues par l’arrivée du train.

               La porte s’ouvrit, elle mit un pied sur la première marche, leva la tête et
               s’arrêta brusquement.

               Puis, ce fut un grand trou noir. Quelques instants plus tard, elle se réveillait sur une

               civière de la gare du Vésinet dont l’hôpital avait accueilli les blessés du front. Depuis
               la fin de la guerre, certaines civières y avaient été oubliées. Prise d’un

               évanouissement au moment de monter dans le train, elle reprenait petit à petit ses

               esprits, persuadée qu’un châtiment l’avait frappée. Les évènements de sa vie
               s’étaient précipités depuis l’armistice de 1918. Elle repensa aux jours passés…



                Suzanne avait fait la connaissance d’un jeune homme ambitieux, intrépide. Ils

               s’étaient connus pendant la guerre. Elle avait répondu à l’appel du « devoir
               patriotique » : soutenir le moral des troupes à travers l’envoi de lettres aux soldats du

               front. Elle était devenue sa marraine. Lui, son filleul, Bixente était affecté à l’arrière

               des tranchées, à Verdun, chargé de trier le courrier destiné aux poilus. Lors de
               l’appel des noms à la distribution, ils se regroupaient tous. On écoutait les mains et le

               cœur tendus. Ils trouvaient un peu de réconfort à la lecture de la correspondance de
               leur marraine de guerre, leur fiancée, ou leur « vieille ».

               Bixente devait son poste à son certificat d’études qu’il avait obtenu avec mention
               contrairement à ses congénères, simples paysans du territoire basque qui n’avaient

               pas eu cette chance. Il s’y connaissait donc en lettres et à double titre. Il mettait un

               point d’honneur à les acheminer rapidement à tous les détachements de la ligne de
               front et à ne faire aucune faute d’orthographe quand il répondait à celles que lui

               envoyait sa marraine.

               De Paris où elle était étudiante, Suzanne tentait de le distraire. Elle lui décrivait ce
               qu’elle apprenait dans cette nouvelle école prestigieuse, HEC jeunes filles, réservée

               à la minorité de brillantes bachelières. On y apprenait la dactylographie, la
               comptabilité, le secrétariat commercial.

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