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N ° 21                              Tout feu tout flammes








                      Elle attendait sur le quai. Elle repensait aux derniers jours passés avec celles qu’elle
               avait considérées comme ses amies. Un malaise persistait en elle. Ses pensées furent

               interrompues par l’arrivée du train. La porte s’ouvrit, elle mit un pied sur la première marche,
               leva la tête et s’arrêta brusquement. Non, non, non et NON! Ne pas fuir, réagir. Ne pas être

               celle qui accepte, baisse les bras, acquiesce et ronge son frein comme sa mère ! Morgane

               reposa le pied sur le quai, une flamme sombre dans les yeux. En reculant son coude heurta la
               poitrine de l’homme pressé qui la talonnait. Il protesta vivement, elle fit demi-tour,

               « Non ! » hurla-t-elle au nez du vieil homme outré qui se mit à déblatérer sur l’impolitesse des
               jeunes.

                      Hier soir, quand ses amies – méritaient-elles encore ce nom ? – avaient rejoint
               bruyamment leur tente, riant encore de leur mauvaise blague, elle avait fait semblant de

               dormir. Toute la nuit elle avait laissé couler des larmes de dépit, puis elle s’était glissée

               dehors à l’aube, avait attrapé son sac et rejoint la gare. Un bourdon lui tournait dans la tête, la
               nausée lui vrillait l’estomac, des lucioles lui piquaient les yeux. Accablée par tant de

               malveillance, elle avait longtemps fixé les rails. Vaincue et découragée elle s’était coulée dans
               l’image maternelle d’une femme opprimée et docile. Mais tout à coup la colère de la petite

               fille capricieuse qui tapait du pied devant un jouet refusé avait jailli telle une braise qui
               s’enflamme. C’est pas juste ! Malgré ses bonnes notes, son père pouvait se montrer

               intransigeant, et elle ressentait encore dans sa poitrine, telle une torche incandescente, la

               brûlure de cette injustice. Non ! Elle ne pouvait pas laisser passer cet affront. Leurs yeux
               moqueurs, leurs bouches béantes qui laissaient éclater des ricanements accusateurs, l’hilarité

               de tout le groupe devant ces images grotesques, mais surtout les gloussements de ses amies,

               celles auxquelles elle avait confié ses craintes et ses chagrins, avec lesquelles elle avait
               partagé ses tracas et ses émois d’adolescente, ces images lui soulevaient le cœur. Ludovic !

               Lui aussi avait ricané.
                      Marine, Rosemonde, Victoire et Morgane s’étaient connues en classe de seconde dans

               un lycée de la périphérie. Chacune venant d’un collège différent, le jour de la rentrée scolaire,
               isolées parmi des bandes de lycéens heureux de se retrouver après les vacances d’été, elles

               s’étaient regroupées d’instinct comme quatre étrangères en pays inconnu. Aucune n’avait

               choisi d’atterrir dans cette ville de banlieue.

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