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Héloïse gravi les marches de l’immeuble quatre à quatre. Elle stoppa devant
la porte de Paulette, le souffle court, les mains moites. La valise lui glissait presque
des doigts. Dans la poche de son manteau, un poids inhabituel et dans sa tête, la
vue du métal chromé et mille questions. Face à ce regard qui la fixait sans
expression, elle avait eu une intuition. Il était trop tard pour se présenter et repartir
comme si la conversation n’avait jamais eu lieu.
Appeler la police ou la gendarmerie. Prévenir Paulette qu’elle était en danger. Et
cette bague ? Tout ça semblait fou… Elle entra chez sa patiente sans toquer et fonça
dans la chambre où, comme prévu, Paulette gisait au fond de son lit. La vieille
italienne, qui se faisait appeler Paulette par coquetterie, quittait rarement sa couche
depuis que ses jambes ne la portaient plus. Depuis 6 mois, elle vivait essentiellement
dans ce gros berceau moelleux, où les oreillers et les coussins débordaient de toutes
part et d’où elle pouvait observer un aquarium de 350 litres occupé par quelques
poissons amazoniens, eux aussi en manque de lumière. Quand l’activité des
poissons la lassait, son attention basculait sur l’écran plat qui faisait face au lit.
Elle ouvrit la bouche mais Paulette monta le son de la télévision.
- Il y a un problème, souffla Héloïse, une dame vous veut du mal, je dois
appeler la police
Paulette plissait les yeux vers l’écran. Elle avait, semble-t-il, décidé d’ignorer Héloïse
ce qui n’avait rien d’étonnant car la vie avait donné à Paulette un caractère difficile et
le temps s’était chargé du reste. Sans être totalement malfaisante, la vieille femme
se montrait acariâtre avec quiconque pénétrait son univers et y mettait une énergie
surprenante.
Héloïse se retrancha dans la cuisine pour échapper au vacarme de la télévision, sorti
son téléphone de sa poche et constata avec stupeur qu’il n’avait plus de batterie.
L’appartement modeste n’avait pas de ligne fixe. La jeune femme se laissa tomber
sur la première chaise, la tête entre les mains, tenta un instant de réfléchir.
L’odeur rance des lieux, que chaque mercredi elle redoutait et que, dans la panique,
elle avait oublié jusque-là, lui sauta au visage. Les effluves d’eau tiède du grand bac
à poissons lui parvenaient de la chambre et s’ajoutaient aux relents plus humains et
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