Page 100 - affiche-plume-2020.indd
P. 100

N° 107                              Erreur d’étage





                      Elle avait eu maintes fois l’occasion d’être appelée pour des soins urgents  au 32,
               avenue du manoir, 5 ème   étage, porte gauche.

               Mais ce matin là, fatiguée par une nuit d’insomnie, elle s’arrêta au 4 ème   étage, et frappa porte

               gauche.
                      A  peine s’était-elle aperçue  de son erreur, qu’une voix résonna dans  la pièce du

               fond : « Enfin je vous attendais ». Jeanne hésita une fraction de seconde, elle resta immobile
               quelques instants. L’appartement du 4 ème  étage était disposé de la même manière que celui du

               dessus. La pièce du fond était la chambre dont  la fenêtre donnait sur la cour intérieure de
               l’immeuble. Lors des visites à sa patiente, il lui était arrivé de distinguer, les jours d’été, en

               début de soirée, une dame  très  âgée  qui prenait le frais, installée confortablement dans un

               fauteuil qui n’avait plus d’âge.
                      -  « Excusez-moi mais je me suis trompée d’étage, je ne vous dérange  pas plus, je

               referme la porte derrière moi ». Alors que Jeanne s’apprêtait à faire demi-tour, à sa grande
               surprise « la voix » se fit de nouveau entendre :

                      - « Vous êtes bien Jeanne l’infirmière? Je  vous attendais »! Le son de  la voix était
               légèrement étouffé  et peu audible, mais  Jeanne  comprit  à demi-mot qu’elle était attendue

               aujourd’hui. Interloquée,  elle put  tout  juste  lui répondre par l’affirmative,  mais ne pouvait

               comprendre pour quelle raison il était prévu qu’elle se présentât au 4 ème  étage. Elle n’aurait
               jamais dû pénétrer, à cette heure-ci, dans cet appartement. Décontenancée par la réponse de la

               vieille dame  elle  s’avança  précautionneusement  vers  la chambre,  au  fond du couloir.  Cet

               appartement n’était pas du tout aménagé et décoré de la même façon que celui du dessus. Il y
               avait des tentures aux murs, des bibelots anciens situés dans des alcôves creusées dans les

               cloisons, mis en valeur par une lumière tamisée. Aucune faute de goût n’apparaissait dans ce
               décor un peu vieillot si ce n’est les objets d’une autre génération. Bien qu’ils fussent anciens,

               ils paraissaient comme neufs, on eût dit qu’ils avaient été acquis très récemment et déposés à
               leur emplacement une heure avant à peine. Jeanne, cependant, trouvait que cette ambiance

               visuelle était un peu trop pesante à son goût. Le parquet du couloir malgré les soins qui lui

               étaient apportés,  à  chaque pas,  craquait légèrement. Le  couloir  ne mesurait pas plus  d’une
               dizaine de mètres mais au fur et à mesure qu’elle progressait elle semblait s’enfoncer dans un

               monde étrange presque irréel, hors du temps. Une musique d’abord lointaine, devenait de plus



                                                                                                         1
   95   96   97   98   99   100   101   102   103   104   105