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« allez, allez, entrez ». Elle entra sans n’avoir rien dit et le suivit dans un salon de magazine :
               longs canapés blancs, table basse irréprochable, doux velours impossible à quitter, moelleux à

               souhait. Elle était assise, il lui servait déjà un thé bien chaud, thé jasmin, son préféré. Presque
               par automatisme plus que par politesse  –  n’avez-vous jamais remarqué  comment

               inexorablement votre main se sert lorsqu’on lui propose à sa portée quelques mets : chips ou

               caviar, le geste sera le même : attraper – elle saisit une jolie porcelaine à l’anse travaillée et la
               porta à sa bouche. Il la mit en garde : attention à ne pas vous brûler ! Mais c’était comme ça

               qu’elle aimait déguster  ses boissons, brûlantes de vapeur.  « Très bien  alors »,  fit-il en la
               dévisageant avec un sourire. Il semblait s’être encore adouci mais ses manières restaient celles

               d’un vieux beau. Alors  comme ça ma petite, on se  rend souvent chez les Joussicourt du
               dessus ? Vous êtes après leur argent c’est ça ? Bon, il avait décidé de rester dans la même

               veine, sans-gêne. Et pourquoi ces remarques, pourquoi ne parlait-il pas du travail qu’il était

               censé lui confier ? Pourquoi pensait-il toujours que c’était elle qu’il attendait ?  Elle se
               ressaisit un instant. Ecoutez, je suis juste revenue pour vous dire que vous faites erreur, ce

               n’est pas moi que vous attendiez. Moi, mon travail, c’est notamment d’intervenir chez vos

               voisins du dessus, je suis médecin, c’est tout. Et je vous en ai déjà trop dit, ce qui se passe
               chez les Joussicourt ne vous regarde pas.

                      Et bien ma petite – ça continuait - vous avez raison mais j’ai longtemps cru l’inverse.
               Vous savez, c’est il me semble à peu près au même moment que le début de vos visites au-

               dessus, n’est-ce pas, que j’ai été amené à m’installer ici, au-dessous de votre patiente, il y a de
               cela six mois. Elle essaya de repenser six mois dans le passé. Quelle question, six mois dans

               le passé, pour  elle, c’était comme il  y  a 20  ans ou comme la veille,  dans sa vie tout se

               ressemblait se mêlait, tout était flou, indissocié. Une intervention par-ci une intervention par-
               là, des corps et des corps, des chauds et des froids, des sauvés et des trop tard, des sans rien

               tout va bien. Comment pouvait-elle savoir ce qu’il s’était passé il y a six mois, elle n’avait pas
               de repères, pas de joies spécifiques, pas d’enfant, pas de fêtes qui rythmaient sa vie  et lui

               auraient créé des marqueurs, des souvenirs dissociables. Et pourtant, oui, il y a six mois, était-
               ce bien il  y a  six mois d’ailleurs…  Remontait  à sa mémoire  l’image de  deux immenses

               camions dans l’avenue, qui la bloquait, qui l’avait obligée à refaire tout un tour pour pouvoir

               se garer. Et les statues, dorures et autres tableaux de maître et meubles anciens posés dans le
               grand escalier, en attente de leur destination finale, au  4ème. Oui, elle  se ressouvenait de

               mieux en mieux, c’était pour sa première intervention. Il avait emménagé ce jour-là, le jour de

               la première vraie crise de madame de Joussicourt. Elle lui répondit. Oui oui vous en aviez des
               affaires à transporter…Bon, tu t’en souviens donc, petite. Il hocha la tête satisfait, l’air de dire



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