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-  Pas tout à fait. Pas facile de comprendre l’art contemporain, n’est-ce pas ?
                      Disons qu’il s’agit effectivement d’une réflexion sur la laideur et la beauté,

                      mais en l’occurrence, je me représente dans la peau du David, et les visages
                      révulsés focalisent sur les accessoires parce qu’ils sautent aux yeux, parce

                      qu’ils sont en total décalage avec le corps parfaitement proportionné et

                      dessiné de la statue, et finalement constituent l’apparence qu’ils ne
                      parviennent pas à dépasser.

               Se frottant le menton entre le pouce et l’index, Sonia réfléchit. Elle finit par lâcher :
                   -  Vous n’avez gardé que la première impression.

               Marcello répondit du tact au tac :
                   -  Oui c’est celle qui compte, elle qui détermine la suite. Je vous l’ai expliqué.

                   -  Moi je pense que l’on peut revenir sur sa première impression. Je crois

                      qu’avec un peu de temps, l’une de ces filles aurait fini par vous sourire.
                      Certaines l’ont peut être fait d’ailleurs, mais vous étiez tellement obnubilé que

                      vous ne vous en êtes même pas aperçu. Je la trouve trop triste votre œuvre.

                      Elle ne laisse aucun espoir, aucune issue. David-Marcello enfermé à tout
                      jamais dans le dégoût qu’il inspire, autant le pendre !

               Elle craignit d’avoir poussé le bouchon un peu loin, mais il ne semblait pas fâché,
               plutôt amusé même, et il répondit simplement :

                   -  C’est une idée.
               Puisqu’il ne semblait pas choqué, Sonia décida de pousser son avantage :

                   -  J’ai mieux à vous proposer. Peignez un visage souriant, un seul, et planquez-

                      le au milieu des autres. Il incarnera l’espoir, celui qui quand même finit par
                      passer outre les apparences. Les désespérés ne le verront pas, j’en suis sûre.

                      Pour les autres, il sera une bouffée d’oxygène dans votre univers morose.
               Marcello changea de ton :

                   -  Vous plaisantez j’espère ? Au cas où vous ne l’auriez pas compris, il n’y a pas
                      de place pour une mine réjouie. Je veux montrer ce que j’ai vu, et ce que j’ai

                      vu n’a rien à voir avec un sourire.

                   -  Et là, vous ne le voyez pas mon sourire ? Pensez à tout ce qui s’est passé. Je
                      ne suis pas restée sur ma première impression après tout, puisque je suis

                      revenue. Et je vous ai écouté, je vous ai proposé de l’aide. Et ne croyez pas

                      que les circonstances m’y ont obligée. Après tout, après avoir observé vos
                      portraits, j’aurais très bien pu dire « et alors ?» et m’en aller.

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