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longs cheveux blonds. Elle était très  fine et plutôt petite, les vêtements  bigoudens lui

            donnant un peu d’ampleur, mais ne cachant pas son côté frêle et fragile. Mon cœur battait
            très  fort quand je l’approchais.  Le vent  gonflait les  draps, l’enveloppant  dans une

            blancheur qui contrastait avec ses vêtements sombres. Je la saluais en breton, elle se
            retourna et me sourit «  Jean, bonjour ! Henri n’est pas là en ce moment. » « Ce n’est pas

            Henri que je viens voir » répondis-je en balbutiant. « C’est toi » «  Ah, et qu’as-tu donc de
            si important à me dire ? »


            Une bourrasque de vent souffla, parcourant les draps comme les voiles d’un bateau.

            « Marie, voudrais-tu m’épouser ? »


            A ma grande honte, elle éclata de rire, sans volonté de blesser, mais très spontanément.
            Je n’attendis  pas sa réponse, et repartis en courant. Ce soir-là, je ne pus manger.

            L’humiliation dont j’avais été victime me remplissait d’une honte qui se mua lentement en

            rage . Je pensais que je devais cet affront à Henri, que c’était lui le responsable du rejet
            de sa sœur. Je résolus de  me venger. Je  passais la nuit suivante  à imaginer tous les

            moyens que je pourrais employer pour mener à bien cette vengeance.

            Quelques temps après, c’était la rentrée des classes, je devais retourner à Quimper. Je

            n’avais pas voulu revoir Henri depuis l’épisode avec Marie. Mais il était dans ma classe, et
            je ne pouvais donc l’éviter. Il me sourit en entrant dans le car qui devait nous emmener à

            Quimper. «  Salut Jean ! Cela fait longtemps que je ne t’ai pas vu » me dit-il. Marie ne lui

            aurait donc pas parlé  de ma  déconvenue ? Ou il  faisait bien semblant. Ce soir-là,   à
            l’internat, il me raconta en chuchotant qu’il devait récupérer un tampon servant à faire de

            faux papiers à la Kommandantur, au Lycée Brizeux, le lendemain. Naïf, il me donna tant
            de détails que je savais à quelle  heure l’employée qui devait le lui remettre sortirait  et

            comment se passerait la remise du tampon.

            Le reste vous l’avez déjà deviné… J’allais le dénoncer le lendemain à la première heure. Il

            fut déporté et  on ne le revit jamais. Mais le pire de l’histoire est à venir. Sa famille  fut

            interrogée elle aussi. Puis, pour faire un exemple, ils furent tous fusillés dans la cour de
            leur ferme un matin d’automne.


            Je suis allé voir cette ferme après le passage des Allemands. Ils avaient tous été alignés
            contre un mur, Marie, ses parents et ses deux petits frères. Tous baignant dans leur sang.

            Mon action avait eu des conséquences atroces.




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