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N° 95                       Le regard d’Hanna









                      Elle avait eu maintes fois l'occasion d'être appelée pour des soins urgents au
               32, avenue du manoir, 5ème étage, porte gauche. Mais ce matin-là, fatiguée par une

               nuit d'insomnie, elle s'arrêta au 4ème étage, et frappa porte gauche. A peine s'était-
               elle aperçue de son erreur, qu'une voix résonna dans la pièce du fond : « Enfin ! Je

               vous attendais. »


                      Elise se figea dans l’entrée de l’appartement, comme piégée par l’étroit couloir
               sombre au bout duquel avait surgi cette expression d’impatience, vibrante et ferme à

               la fois. Sa première envie fût de se retourner et de sortir, pour fuir cette situation -
               une fois de plus, se dit-elle fugitivement - mais son hésitation fût balayée par la force

               d’un nouvel appel : « C’est par ici ! Voyons, n’ayez pas peur, Julie ! »


                      Julie ?! La jeune infirmière décida de franchir les quelques mètres vers la
               lumière filtrant autour de la porte entrouverte, pour s’expliquer rapidement et monter

               voir Monsieur Martin. Il l’avait appelée ce matin. Pas d’urgence cette fois-ci, mais

               quand même, un patient est un patient. Elise se surprit à formuler ces mots qui
               exprimaient une forme de banalisation de l’humain, mais interrompit ses pensées

               récurrentes autour du sens amoindri de son métier, de son impression de ne faire
               plus que des piqures ou des pansements. Ce n’était pas le moment, là, et elle

               poussa la porte séparant le couloir noir de la pièce inconnue.


                      Ce qui frappa d’abord Elise, en s’engageant dans ce qui lui sembla un salon
               aménagé en chambre, ce fût l’intensité de la lumière entrant par deux grandes

               fenêtres sans rideaux. Puis, elle apprécia la douceur de la couleur vert amande des

               murs tapissés et des vieux tapis persans bariolés au sol. Comme quoi, se dit-elle, le
               4ème n’est pas le 5ème, il faudra que j’en parle à Monsieur Martin, sa pièce de vie

               pourrait être plus gaie. Cette pensée empathique la fît sourire. Elle était donc
               capable de cela, encore, malgré tout.


                      Un peu perdue dans ses idées, elle chercha du regard d’où avait pu provenir

               la voix entendue plus tôt et aperçut, dans un coin, un vaste fauteuil près d’un lit

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