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- Quand ma Marie était encore là, on était tombés sur une émission un peu étrange qui
nous avez intrigué. Ils parlaient de ces vieux qui n’en peuvent plus de la vie, qui
n’arrivent même plus à être autonome, et qui veulent partir dignement. Vous voyez de
quoi je parle ?
Talia hocha la tête, appréhendant grandement les paroles qui allaient suivre.
- Je pense qu’il est temps, Talia. Temps que je prenne le large, moi aussi. Que je mette
les voiles. Mais il me manque un moussaillon à mon équipage. Et je sais que vous êtes
la parfaite recrue pour cette dernière aventure, votre venue n’est pas anodine.
- Georges … Ce que vous me demandez-là, c’est beaucoup … Je ne sais même pas ce
que je dois faire, ou ce que ça engage … Vous êtes sûr de vouloir vous prendre cette
voie-là ? Et si vous regrettiez ?
- Talia, regardez-moi. Je suis une épave. La coque apparente d’un bateau qui s’est
échoué il y a de ça des lustres. Marie était la seule chose à laquelle je me raccrochais.
J’ai réalisé que j’avais passé des années à me battre ; pour elle, à survivre ; pour elle.
Mais elle n’est plus là. Je n’en veux plus de cette vie-là, Talia. Je passe mes journées à
attendre, à espérer que mon heure arrive, et que je puisse enfin la rejoindre. J’aimerais
partir dignement, pour enfin la retrouver.
- Et si ce n’était pas ça votre dernière option ? Et si je vous aidais à trouver un autre
logement par exemple, un où vous pourriez voir la mer ? Un changement de décor
pour un nouveau départ, qu’est-ce que vous en dites ? Et peut-être que la médecine
pourrait encore évoluer, ou que vous n’avez pas consulté les bons spécialistes et qu’on
peut trouver d’autres choses à faire …
Georges secoua la tête, et reprit d’une voix sérieuse mais douce.
- Ma mignonne, ne me sortait pas ce baratin-là, vous ne me ferez pas changer d’avis. Ça
fait des années que j’ai mon billet de sortie dans un tiroir de ce cabinet que vous
voyez-là. Des années que j’avais prévu mon coup si jamais Marie partait sans moi. Je
savais que je ne pouvais pas vivre sans elle. Sa signature est en bas du document. Elle
savait que si un jour je n’en pouvais plus, de cette vie attachée à des machines, je lui
ferais savoir et on ferait le nécessaire. Mais elle n’avait pas imaginé le fait qu’elle
puisse partir avant moi. Ce foutu bout de papier ne vaut maintenant plus rien. J’ai
besoin que quelqu’un atteste de ma lucidité en signant ce chiffon et m’aide dans les
démarches. Je veux m’en aller, Talia.
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