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« Comment avez-vous pu vivre après ça ? Vous reconstruire ? s’enquit
soudainement Elise, comme si elle envoyait maladroitement mais vaillamment une
bouée dans la mer obscurcie.
- J’ai aimé… et été aimée avant tout… vous en avez des images, des échos
dans cette pièce. »
Elise se leva, sollicitée par Hanna, et s’avança vers la commode toute proche,
sur laquelle étaient posés des cadres de photos. Elle leva les yeux vers les murs
qu’ornaient aussi des images du passé, là, sa maman, sans doute, ici son Amour qui
avait dû partir avant elle, plus loin ses amis qu’elle imaginait fidèles, et, dans un
espace particulier de la pièce, entre la pendule désormais silencieuse et la porte,
plusieurs photos de classe d’écoliers sur des bancs.
« Ce sont mes enfants. Je les appelais ainsi, même s’ils étaient ceux des
autres, j’ai tenté de les éveiller à la beauté de la vie, au-delà des
programmes. »
Elise repéra sur la commode une tasse de porcelaine un peu ébréchée et eut
une image de ce vase japonais reçu en cadeau de son désormais ex-compagnon, et
dont les éclats brisés étaient sertis d’or. Pour non pas cacher, mais au contraire
sublimer les fragilités. Tout un art, là-bas … Et ici, maintenant ? Pour elle, mais aussi
les autres ? C’était quoi, les failles d’aujourd’hui ? Et comment œuvrer à les réparer ?
« Vous n’avez pas d’enfant ? Et votre métier, à vous, c’est quoi ? » reprit
Hanna.
Voilà deux questions qui tombaient bien ! s’exclama intérieurement Elise. Elle
se retrouvait à nouveau devant sa difficulté à s’engager sentimentalement et emplie
de l’impression de n’être plus à sa place ici, d’être à l’étroit dans sa vie. Cette femme
avait le don de la mettre en face d’elle-même, ce qui la bousculait un peu. Une envie
s’éveilla, celle de se mirer dans les grands yeux d’Hanna, de s’ouvrir en confiance à
celle qui avait parlé de ses traces de vie… Quelles traces vais-je laisser, moi ?
s’interrogea la jeune infirmière. Quels souvenirs marqueront mes murs, quels visages
peupleront mon esprit, dans cinquante ans ? Une image s’imposa à elle, celle de
cette vieille femme, si loin, à Calcutta, qui l’avait tant inspirée petite. Elle eut soudain
envie d’appeler ce type qui l’avait invitée à adhérer à cette association humanitaire.
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