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particulier, aveugle de cette femme. Quoique le mot était sans doute très mal
               choisi… Cette inconnue voyait au fond d’elle, semblait-il. La jeune femme ne put

               s’empêcher de noter qu’aucun miroir ne venait réfléchir les objets et les corps
               présents dans la pièce. Rien pour scruter ses propres yeux cernés, son attitude

               fatiguée. Un soulagement, un répit. Quoique, pas vraiment, au vu de cette invitation

               à raconter. D’accord, se dit Elise, mais quoi ? Ses 35 ans, sans amour stable, sans
               enfant ? Son passé dans cette ville de Lyon un peu contrainte, selon elle, dans un

               prêt-à-penser de personnes aisées, gâtées par la vie ? Ses difficultés à trouver sa
               place au sein de groupes d’amis finalement si éloignés d’elle ? Sa lassitude de plus

               en plus prégnante, ces derniers temps ?


                      « Comment vous appelez-vous ? s’enquit d’abord Elise, curieuse d’en savoir
               plus sur cette drôle de petite bonne femme pleine de vigueur et de mystère, aussi.


                      - Vous déviez, jeune femme, vous fuyez. Mais je vais vous répondre, puisque

               ma chère amie n’a pas pris soin de vous en informer. Je m’appelle Hanna, avec un
               H. »


                      A l’évocation de ce prénom, Elise hésita un court instant à rectifier celui

               qu’Hanna, donc, lui avait donné. Et se ravisa, sans trop comprendre pourquoi. Ou
               plutôt si, pour répondre à une amorce d’envie de prolonger la rencontre, fortuite

               mais, somme toute, intrigante. Tiens ? se dit Elise, voilà que j’ai à nouveau de

               l’intérêt pour quelqu’un ou quelque chose… Elle en ressentit comme une dilatation
               de son cœur et se trouva, soudain, un brin plus légère, oui, tel un brin de blé caressé

               par le vent. Cette image surgie du fond d’elle l’encouragea à répondre à la
               sollicitation de cette improbable nouvelle confidente, accordant spontanément sa

               confiance en cette inconnue qui ne l’était déjà plus.


                      « Je ne sais par où commencer… mais aujourd’hui, je me sens perdue…
               fragile… triste. J’ai mal dormi, ça n’aide pas sans doute… Je me sens seule,

               étrangère... à ma vie, aux gens. Comment faire encore semblant ? Bref ! Vous le

               voyez, Hanna, ce n’est pas la grande forme ! »

                      Elise, en s’écoutant se plaindre devant cette femme au crépuscule de sa vie,

               aveugle, manifestement seule, stoppa net le commencement d’épanchement qu’elle

               sentait sourdre en elle.


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