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— Je me suis revue le laver, lui parler, lui prendre la main… J’étais comme dissociée de
mon propre corps et j’assistais à la scène de l’extérieur. C’était à la fois doux et très
difficile… Je ne sais pas encore quel rapport ça peut avoir avec ma phobie mais je
sens que c’est lié.
Cyril et Marion avaient déjà échafaudé de nombreuses hypothèses quant à l’origine de cette
peur handicapante. Les symptômes invalidants étaient apparus peu après la disparition de ce
père qu’elle chérissait. Ils avaient pensé que son traumatisme était lié à la mort de celui-ci. En
y réfléchissant, elle avait toujours ressenti un vague malaise lorsqu’elle était environnée
d’étagères garnies de livres. Mais elle l’avait mis sur le compte d’une légère claustrophobie.
Lors des rendez-vous suivants, Marion avait exclusivement fréquenté ce cinquième étage, et
la sensation de douceur perçue à sa première visite s’était amplifiée. Au sortir de l’hypnose,
elle éprouvait une forme d’apaisement.
Ce jour-là, c’était la première fois qu’elle s’arrêtait à l’étage précédent… et qu’elle était
confrontée à l’objet de sa phobie. En réponse à Marion qui s’interrogeait sur la signification à
accorder à ce nouveau souvenir, Cyril proposa :
— Peut-être as-tu vécu un événement traumatisant dans cette pièce, chez ton grand-père ?
Elle haussa les épaules. Elle savait qu’il cherchait à l’aider, tout en ayant parfois un doute sur
ses motivations réelles. Dans les faits, c’était souvent lui qui se dévouait pour récupérer ses
livres.
— Impossible de le savoir. Je n’ai pas réussi à dépasser la porte.
Malgré ses efforts pour paraître détachée, sa voix avait tremblé. Depuis son réveil, chez le
thérapeute, elle avait senti grandir son découragement. Si même sous hypnose elle n’arrivait
pas à franchir le seuil d’une bibliothèque, comment espérer pouvoir un jour le faire dans la
vraie vie ?
*
Passées les instructions successives du thérapeute à se détendre, qu’elle connaissait désormais
par cœur, Marion entama sa descente dans le « manoir ». La voix de Mr Ohm, son rythme
lent, sa diction précise, la guidaient aussi sûrement que s’il lui avait tenu la main.
Alors qu’elle atteignait le 4 ème étage, la porte gauche s’ouvrit toute seule. Tout au bout, son
grand-père lui fit un petit signe : « Viens ! Tu connais le chemin ». Marion eut à peine le
temps de le rejoindre ; déjà, elle retrouvait la maison aux pierres dorées. La pièce sur le seuil
de laquelle elle se tenait était une cuisine. Les persiennes entrecroisées plongeaient la pièce
dans la pénombre, mais elle repéra tout de suite Marhuète. Celle-ci, vêtue d’un short et d’un
Biographie de l’oubli 4