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Il lui prit la main sans attendre sa réponse, l’entraînant dans un coin de la pièce où une porte
qu’elle n’avait pas vue s’ouvrit face à eux.
Elle découvrit une étendue de gazon impeccable, traversée par une allée qu’encadrait de
grands buis taillés en hélice. Tout au bout, Marion distinguait une maison cossue en pierres
dorées dont les ouvertures régulières, à l’étage, surmontaient de grandes porte-fenêtres. Sur la
terrasse cernée de balustrades, une petite fille sautillait en chantant une comptine. « Il était un
petit homme, piruette, cacahuète »… Marion reconnut cette façon particulière d’articuler les
ou en les transformant en u pointus. Ses camarades s’en étaient beaucoup moqués, ce qui lui
avait valu ce surnom, Marhuète. Cette petite fille aux yeux vairons qui chantonnait au soleil,
c’était elle, à sept ans.
Marion s’approcha de la terrasse avec la sensation de flotter. Marhuète continuait à fredonner,
tout en jouant à une marelle imaginaire. Elle s’interrompit brusquement en entendant un
crissement de pneus sur l’allée. Une voiture à la carrosserie vert sapin venait de s’arrêter au
pied des marches de la terrasse. Un jeune homme corpulent aux moustaches fournies en sortit.
Marion ne pouvait détacher ses yeux du visage de cet homme. Le connaissait-elle ? Pendant
que son esprit retournait cette question, Marhuète disparut à l’intérieur.
L’instant d’après, Marion se tenait sur le seuil d’une pièce sombre donc elle distinguait à
peine les murs tapissés de livres. « Bibliothèque », pensa-t-elle, et la main glaciale de l’effroi
lui empoigna la nuque. Sortant de sa torpeur, elle fit demi-tour et se propulsa dehors. Dans le
fond du jardin, elle retrouva l’appartement par lequel elle était arrivée, qu’elle traversa
comme une flèche jusqu’à l’entrée. Cette fois, la porte s’ouvrit. Sur le palier du 4 ème étage,
Marion sentit son cœur s’apaiser. Elle respira profondément, trois fois.
— Nous allons en rester là pour aujourd’hui, suggéra le thérapeute d’une voix douce. À
quel étage étiez-vous exactement, cette fois ?
— Au quatrième, je crois.
Marion eut un rire surpris.
— Très bien. Cela signifie que vous en avez probablement terminé avec votre père, au
5 ème . Vous faites des progrès considérables. Je pense qu’une ou deux séances
supplémentaires devraient permettre de vous soulager.
— Vraiment ? articula Marion d’une voix pâteuse.
Ces séances avaient tendance à l’épuiser. Elles généraient aussi une forme de frustration car
elle n’en voyait pas l’efficacité. Marion souffrait d’une pathologie peu commune : la phobie
des bibliothèques. Pour être exact, cette phobie s’étendait désormais à tout espace garni de
livres, y compris les librairies. Son métier de biographe nécessitait qu’elle se documente
Biographie de l’oubli 2