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secoua la tête; n’importe quoi, comme si c’était habituel pour elle de se retrouver affubler d’un
chien par le premier venu.
Une fois dans la rue, le rythme de marche changea complètement. Au lieu de tirer et de vouloir aller
de l’avant, monsieur flânait à sentir chaque petite touffe d’herbe, chaque obstacle que pouvait
présenter le trottoir. Lampadaire, boîtes aux lettres, poubelle, arbre, tout est passé en revue. A croire
que ce chien n’avait pas vu le monde extérieur depuis des lustres. A croire aussi que sa vessie avait
une contenance de plusieurs centaines de litres ! Impressionnant le nombre d’arrosage qu’il pouvait
effectuer en un minimum d’espace. Absorbée par la vision du 21 ème jet de marquage, elle se
surprit à regarder à son tour autour d’elle. Depuis quand y avait-il une petite épicerie fine dans cette
rue ? Les saucissons en vitrine et les terrines étaient drôlement alléchantes. Oh ! Il y a même ces
petites confitures qu’elle adore. Oui décidément, c’est une adresse à se rappeler. Tiens, quelle est
cette odeur ? Un doux parfum fleuri, persistant et tenace embaumait l’air. Elle chercha sa
provenance, découvrant une végétation à laquelle elle n’avait prêté aucune attention depuis 3 ans
qu’elle venait dans ce quartier. Le labrador l’avait menée jusqu’à un petit square. Après avoir
poussé un portillon métallique qui manquait sérieusement d’huile, le bruit de la ville se trouvait
comme par magie assourdi. Toujours humant l’air, Hélène progresse dans les allées gravillonnées
pour trouver ce qui peut produire cette flagrance. Ça lui rappelle sa grand-mère… Pourquoi donc ?
Et soudain, elle comprit. Elle se revit enfant dans la cour de la ferme, le mur de la façade
entièrement recouvert de végétation et ces grappes violacées qui sentaient si bon. La même odeur,
le même émerveillement devant l’éclatante et prolifique floraison. Dans l’allée, face à elle se
dressait une arche de Glycine. Les grappes de fleurs pendaient le long des feuilles vertes créant un
délicat voile, un écrin de verdure, une invitation à s’isoler de la ville. Un banc y avait été apposé
permettant aux heures les plus chaudes de profiter de son ombre bienveillante. Hélène regarda
autour d’elle, il était tôt mais le parc fourmillait déjà de promeneurs. Le labrador avait marqué
l’arrêt également et s’était assis, la regardant comme une invitation. Machinalement Hélène s’assit
pour observer le monde. Des joggeurs, des marcheurs, des travailleurs à priori en retard, et des
baladeurs de chiens, comme elle. Eux aussi s'étaient-ils trompés de porte ce matin ? Elle entendit le
chant des oiseaux. Comment un être aussi minuscule pouvait produire un boucan pareil ? Se surprit-
elle à penser en observant le rouge-gorge qui s’était posé non loin de là sur une branche. Un
tiraillement au bout de la laisse la sortit de ses rêveries. Il était temps de repartir. Un étrange
sentiment d’apaisement l’envahissait. C’était quand la dernière fois qu’elle s’était posée sur un banc
un instant ? Quand avait-elle pris le temps de regarder autour d’elle ? Mais pour l’heure, un
élancement dans le bras la rappela à l’ordre. Il fallait repartir sauf si elle souhaitait perdre une
épaule. Par où était-elle arrivée déjà ? Hélène cherchait du regard le portillon quand soudain, son
regard fut attiré par un spectacle bizarre. Le labrador s’était mis à tourner en rond sur lui-même.
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