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constamment ; elle avait donc recours à différentes stratégies. Elle commandait ses livres sur
               internet et, lorsqu’elle ne pouvait faire autrement, demandait à ses amis de récupérer pour elle

               un ouvrage réservé sur le site d’une bibliothèque.
               Marion  avait tout essayé : les plantes, les  anxiolytiques, une thérapie cognitive et

               comportementale, des séances de sophrologie.  Elle s’était même abonnée à une  appli de

               méditation et y consacrait trente minutes quotidiennes. Elle avait néanmoins l’impression que
               son problème  empirait.  Au simple mot  « bibliothèque » Marion sentait  désormais  la sueur

               perler entre ses omoplates.
               Lorsqu’elle était tombée sur cet article en ligne vantant les bénéfices de l’hypnose, elle avait

               sauté le pas. Elle avait plusieurs fois remarqué la plaque d’un praticien au numéro 32 de sa
               rue. Son nom lui plaisait beaucoup : R.Ohm.  Homère à  l’envers, avait-elle pensé  en se

               souvenant que l’article comparait l’expérience de l’hypnose à une  véritable  « odyssée

               intérieure ».
               Après son premier rendez-vous, au cours duquel Mr Ohm lui avait détaillé le processus en

               termes très imagés, Cyril et elle en avaient plaisanté.

                   —  « Emprunter les passages secrets  de ton espace  mental, regarder derrière les portes,
                      soulever les tapis » : on dirait qu’il parle d’une bicoque hantée !

                   —  Eh ! N’oublie pas que c’est de mon inconscient dont tu parles. Je préfère manoir, si ça
                      ne te dérange pas.

               Lorsque Marion était revenue de la première séance d’hypnose, la semaine suivante, Cyril lui
               avait demandé :

                   —   Quel coin du manoir as-tu exploré aujourd’hui ?

               L’esprit encore ébranlé par l’expérience qu’elle venait de vivre, Marion n’avait pas perçu pas
               la note d’humour dans le ton de son compagnon. Elle lui avait répondu machinalement « Le

               cinquième étage »  et Cyril,  pensant  qu’elle filait la plaisanterie, s’était  esclaffé. Après
               quelques secondes d’incompréhension mutuelle, Marion avait expliqué :

                   —  Pour initier l’état de conscience modifié  ou,  pour faire simple, l’état d’hypnose, le
                      thérapeute m’a demandé d’imaginer que je descends des escaliers en  comptant les

                      étages. Je me suis arrêtée au cinquième.

                   —  Ah… et qu’as-tu trouvé, au cinquième ?
                   —  Mon père. Mon père en train de mourir, pour être précise.

               Cyril connaissait l’histoire de ce père mort prématurément d’une maladie neurodégénérative,

               les visites et les soins que Marion lui avait prodigué pendant des mois — jusqu’à son décès
               cinq ans auparavant.

                                                    Biographie de l’oubli                                3
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