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N° 93 L’ ECHO
Elle avait eu maintes fois l'occasion d'être appelée pour des soins urgents au 32, avenue du manoir,
5ème étage, porte gauche. Mais ce matin-là, fatiguée par une nuit d'insomnie, elle s'arrêta au 4ème
étage, et frappa porte gauche. A peine s'était-elle aperçue de son erreur, qu'une voix résonna dans la
pièce du fond : « Enfin ! Je vous attendais ». Sa main sur la poignée glaciale lui parut soudain
terriblement lourde. Elle avait connu bien des choses — quand on est médecin, on ne s’effraie plus
d’une angine — mais cette voix-là, avec ses accents si familiers, avait quelque chose d’outre-tombe et
lui jeta comme une pierre dans l’estomac. Son cœur accéléra en tambour d’oiseau, pistonné aux
instincts primaires, et eut la bonne idée de lui noyer le cou d’une sueur froide. Elle jeta un coup d’œil
au couloir noiraud. Chaque brin de moquette ne lui revenait pas. Horreur, elle s’était trompée d’étage.
Pourquoi horreur ? C’était un malentendu. Mais cette voix…des pas légers pianotèrent sur le parquet
derrière la porte. Sans réfléchir, elle rassembla sa sacoche en cuir usé, ses affaires de Purgon et toutes
ses jupes, et détala sans demander son reste, dans un courant d’air. Elle ne prit même pas le temps de
reprendre son souffle, qu’elle oublia probablement sur le pas de la porte. Enfin, c’était probablement
ridicule — elle se sentait fillette en plein colin-maillard — mais elle n’était pas chez elle, elle avait
frappé à la mauvaise porte, et cette voix ne lui disait définitivement rien. La porte s’entrouvrit en
cliquetant, juste derrière elle, avec un bruit de chaînes. Elle accéléra, enjamba les escaliers. Arrivée en
haut elle remit de l’ordre à sa mise et flagella son esprit de quelques reproches, dont le faisceau servit
à remettre à l’heure la grosse pendule qui lui battait à la poitrine. Son souffle était court d’angoisse.
Au fond, elle se trouvait ridicule. Un vieil homme, sûrement. Un membre de la famille, peut-être
même une proche — elle n’était pas fixée quant au genre de la voix — ou encore un, ou une amie de
passage. Oui, c’était cela. Sûrement, elle avait craint de déranger. Un malentendu. Elle se trouvait
bizarrement nerveuse. Elle raffermit sa prise sur sa sacoche et toqua résolument sur la grosse porte de
chêne noirâtre. Quelques pas, dans le silence. L’étrange attente de celle qui se sent de trop. Puis, avec
un froufrou profond, le battant s’ouvrit, sur le visage sillonné de Monestre Willan. Elle sourit, selon le
protocole. « Bonjour, Monestre » salua-t-elle obligeamment. « Je suis venue le plus vite possible… »
Un faible cri, qui semblait sortir de l’espace même, l’interrompit brusquement. Monestre Willan
grimaça. « Excusez, c’est l’écho » soupira-t-il. « Il est particulier ici, il faut y faire attention. Mais
entrez, bien sûr. » Le jeune lumme s’écarta, toujours souriant sur sa figure éraflée de rides moqueuses,
et elle put faire quelques pas à l’intérieur. Cela faisait…très longtemps qu’elle fréquentait Monestre
Willan. Plus qu’on ne pouvait décemment l’imaginer, pour être honnête. Elle l’avait connu adolescent,
avec son visage déjà comme trop usé, ses yeux qui riaient tout seuls, et la bouche narquoise qui se
moquait de ses traits de papier froissé. Il avait eu quelques temps l’idée bien à lui de s’exprimer dans
une langue chiffonnée que son esprit moqueur avait faite gazouillante de syllabes agenres, mais bien
vite fatigué de cet exercice de gymnastique il avait consenti à garder les pronoms usuels. Néanmoins
sa guerre n’avait pas cédé sur la plupart des autres points. De taille moyenne, les cheveux d’un roux
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