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J'observais à présent à loisir l'appartement de mon hôte ; rien à voir avec celui de Jeannette juste au-
dessus qui présentait un modernisme et un confort supérieur. Aux murs, une grande glace dont
certains endroits manquaient d'étamage. Par projection, je pouvais deviner le reflet d'un militaire, un
proche sans doute, cet ancêtre supposé portait une série de médailles qui, dans mon
esprit, ressemblaient à une famille d'hirondelles perchées sur un fil et cela me fit sourire.
Mon regard s'était déplacé vers un tableau un peu trop dans l'ombre à mon goût - tout ce qui relève
de l'art attire mon attention - je constatais qu'il était de bonne facture et la signature connue ; pour
mon vieux Monsieur, le sujet de cette scène de soldats trinquant avant de partir au front devait faire
partie du trésor fondamental de sa famille.
Le plus désolant dans cette pièce et qui la rendait d'une grande tristesse consistait en la place laissée
libre par l'absence de deux autres tableaux définis par deux emplacements étrangement vides, ayant
gardé leurs coloris, tandis que les tapisseries initiales délavées par l'effet du soleil révélaient le
contraste saisissant.
Des bribes de conversations me parvenaient de temps en temps ; je compris que cet échange n'avait
rien d'amical :
– Pourquoi ne vous êtes-vous pas déplacé vous-même ?
– Qui me prouve que ce bilan représente la valeur annoncée ?
– Vous connaissez ma santé et mon âge, vous jouez là-dessus !
– Vous ne m'aurez pas comme cela !
C'en était trop ! J'allais jusqu'à imaginer qu'un tel énervement pouvait être fatal au vieux Monsieur.
Pour moi, il devenait urgent de quitter cet appartement, de monter au 5ème où mes affaires,les
vraies, celles pour lesquelles j'avais mission, m'attendaient.
Par correction, je sortis de ma sacoche mon papier à entête et en gros caractères écrivit : « Je reviens
tout de suite, je dois visiter une patiente à l'étage supérieur ». Je disposais mon message bien en
évidence sur le bureau et d'un pas rapide pris la décision de quitter ce piège dans lequel je m'étais
fourvoyée.
D'un geste, mon interlocuteur me demanda d'attendre, je feignis de ne pas le voir et prestement
sortis puis montais libérée en lâchant un ouf de soulagement.
Jeannette, ma patiente, me reçut tout sourire. Depuis le temps que nous nous connaissions, elle
avait créé une sorte de rituel. Ce rendez-vous mensuel, toujours le 3ème lundi de chaque mois à
9h15, toujours le café déjà en route, toujours la porte ouverte, le chat enfermé dans sa cage aux
barreaux d'osier, toujours les choses sérieuses d'abord: la piqure, la prise de tension, puis la
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