Page 61 - affiche-plume-2020.indd
P. 61
N° 40 Celle qu’on n’attendait pas
Elle avait eu maintes fois l'occasion d'être appelée pour des soins urgents au 32, avenue du manoir,
5ème étage, porte gauche. Mais ce matin-là, fatiguée par une nuit d'insomnie, elle s'arrêta au 4ème
étage, et frappa porte gauche. A peine s'était-elle aperçue de son erreur, qu'une voix résonna dans la
pièce du fond : « Enfin ! Je vous attendais ».
*
« Quand je dis « Je vous attendais », je ne vous cache pas que pendant cette attente, j’étais loin
d’être serein. Vous étiez tellement hésitante à l’idée de venir me voir, notre rencontre semblait tel-
lement vous angoisser que j’ai douté jusqu’au bout. Alors même si vous avez fini par accepter le
billet de train que je vous ai envoyé pour quitter Paris pour Brest le temps d’un weekend, je trouve
que vous avez fait de votre mieux pour entretenir le suspense. »
Le bon sens dont elle faisait preuve habituellement la sommait de prendre congé dans l’instant. En
s’excusant platement pour sa méprise. Mais, après être entrée par erreur dans cet appartement en
prenant visiblement la place d’une autre personne, Élodie en était bien incapable. Subjuguée par le
jeune homme au regard étrange qui lui faisait face, envoûtée par la douceur de sa voix, elle était
prête à se couvrir de ridicule une fois démasquée rien que pour avoir la chance de continuer à profi-
ter de sa compagnie.
- Eh bien, comme vous le voyez, je suis là.
- En tout cas, je note que vous avez un sacré sens de l’humour. A moins que vous n’ayez une mé-
moire de poisson rouge. Mais je ne le pense pas. Et je penche donc plutôt pour votre sens de
l’humour. Même si je ne vois pas, je sens les choses. Dès que j’ai compris que quelqu’un était entré
dans cette pièce, j’ai tout de suite su qu’il s’agissait de vous. Et je peux vous dire que les ondes que
vous dégagez sont clairement positives.
Si elle se sentait un peu gênée par l’impair qu’elle venait de commettre sur la cécité du jeune
homme qui lui faisait face, Élodie venait visiblement de marquer des points auprès de son interlocu-
teur. Et elle en était ravie.
- Alors, comme ça, vous n’avez pas vu ma mère à la gare ?
- Ben non. Et je ne risquais pas de la voir. Je suis arrivée en voiture. Certains ont la phobie du
voyage aérien. Moi, c’est la voie ferrée qui me pose problème. C’est sans doute beaucoup plus rare,
mais ça explique en partie mes hésitations lorsque vous m’avez proposé de venir chez vous en train.
- Vous conduisez ! Je ne savais pas que vous aviez votre permis. Ça a dû m’échapper lors de nos
1