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s'emballa et rien ne pouvait l'empêcher d'aller le saluer. Ce qu'elle fit, et Yves l'invita à
              prendre un café avec eux. Il la présenta à son ami en disant qu'elle était médecin.

              C'était important pour lui, Suzanne s'en rendait compte maintenant, on voyait qu'il en
              tirait une certaine fierté.

                    C'était agréable de le voir en dehors de chez elle, dans d'autres circonstances, au

              vu et au su de tous. Quand elle prit congé, ce fut comme si elle s'arrachait le cœur. Elle
              hurla en silence. Elle se dirigea vers le petit parking où elle avait garé sa voiture, à

              quelques centaines de mètres du café,  à l'écart de l'agitation urbaine.  Alors qu'elle
              ouvrait la portière, Yves arriva sans bruit, la prit par la taille et l'embrassa dans le cou. Il

              l'avait suivi. Tu me manques tellement lui dit-il. Il la rejoingnit chez elle et ils passèrent
              l'après-midi entier ensemble. Elle était comblée, mais elle ne pouvait s'empêcher de

              s'interroger sur le fait qu'il soit disponible un samedi après-midi. Elle lui demanda ce

              que faisaient ses enfants, pourquoi, il ne profitait pas de son samedi pour passer du
              temps avec eux.. Ils sont avec ma femme, dit-il, les courses, le coiffeur, la bibliothèque.

              Célibataire sans enfant, Suzanne ne connaissait pas la vie de famille et se disait que

              peut-être elle l'idéalisait. Je me figure que les pères se précipitent vers leurs enfants
              dès qu'ils ont un moment, pensait-elle, mais ce ne doit pas être comme cela.

                    –  Suzanne, disait-il, tu sais que je tiens à toi. Je ne sais pas ce qu'on va devenir,
              mais je suis bien avec toi. Tu entends ça, Suzanne ? Je suis vraiment bien avec toi.  Je

              n'ai pas connu ça depuis longtemps. Je ne sais même pas si je l'ai déjà connu.
                    Pour son anniversaire, alors qu'elle venait de rentrer du travail, il sonna à sa porte

              et lui demanda de le suivre. Chacun prit sa voiture, il était hors de question qu'on les vit

              ensemble. Il partit cinq minutes avant elle et l'attendit à un endroit convenu. Après avoir
              quitté la ville, Yves s'engagea sur une petite route. Il s'arrêta dans un vague parking, à

              l'orée d'un bois. Un panier à la main, il l'entraina sur un petit chemin. Ils arrivèrent près
              d'un étang. Le soleil se couchait derrière les arbres sur la rive d'en face. Des canards

              et des  poules d'eau s'éloignèrent  à leur approche en jacassant.  Yves étala une
              couverture sur l'herbe et sortit une bouteille de champagne et des huîtres. C'était fête !

                    Il venait parfois au cabinet. Il attendait son tour comme les autres patients dans la

              salle d'attente. Dès qu'elle le voyait, elle reprimait un sourire.  Son cœur battait la
              chamade. A chaque fois qu'elle ouvrait la porte pour appeler un patient, elle le voyait là,

              absorbé par un article dans une revue, ne levant même pas la tête à son apparition. Il

              était en tenue de travail : pantalon kaki, poches plaquées sur les cuisses, godillots plein
              de terre, les  muscles saillants, les ongles cassés et sales, les cheveux, ses beaux



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