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explorait chaque millimètre  de son visage, de son corps. Il prononçait son prénom
              encore et encore. Suzanne, Suzanne, ...

                    Elle le respirait, voulant s'imprégnier de son odeur pour ne l'oublier jamais.
                    Ce n'était pas un homme à s'endormir, il  parlait, parlait. De son travail, de son

              enfance, de sa vie conjugale en faillite, de ses enfants, des arbres qu'il plantait dans la

              ferme de ses parents pour réparer les dégats du remembrement. Et puis, il s'en allait
              toujours vers quatre heures. Alors, elle ne trouvait pas le sommeil. Mais pourquoi je fais

              ça ? il est marié, il a des enfants. Qui était-elle pour accepter cette situation ? Elle ne
              se reconnaissait pas. Elle se disait féministe mais n'était-elle pas devenue dépendante

              d'un homme ? Elle était là à attendre qu'il trouve un moment pour venir la voir. Elle était
              là à le regarder partir au milieu de la nuit, impuissante. Soumise ? Elle se sentait sale. Il

              faudrait rompre avant qu'il ne soit trop tard.

                    Une  fois, ils s'endormirent et ne se réveillèrent qu'à sept heures. Il  partit
              précipitamment et Suzanne s'inquiéta  pour  lui. Pourtant, il revint le soir même et lui

              raconta que sa femme dormait encore quand il était rentré, elle n'en avait rien su.

                    -Tu pourrais peut-être le lui avouer, proposa Suzanne.
                    – Non je ne peux pas, ce serait terrible ! Elle serait malheureuse.

                    – Mais cette situation ne peut  pas durer ! Vous vivez dans le  mensonge, je me
              demande quel intérêt vous trouvez à cette vie.

                    – Ma femme ne travaille pas et moi j'arrive tout juste à nourrir ma famille. Nous
              n'avons pas fini de rembourser le prêt de la maison. On ne peut pas envisager une

              séparation, financièrement c'est impossible.

                    Yves  était paysagiste.  Il  venait de  créer son entreprise après avoir travaillé
              quelques années dans une grosse société. Pour se développer, il lui fallait investir dans

              une tondeuse-tracteur et un petit camion. Il montait des dossiers de financements pour
              obtenir des prêts, mais suite à quelques anciens problèmes financiers, les banques se

              montraient  frileuses et  Yves n'arrivait pas à développer sa société comme il l'aurait
              souhaité. Il était coincé, freiné dans son développement et Suzanne le sentait tendu

              quand il parlait  de son affaire. Dans ces  moments là, il s'arrêtait de la caresser, se

              retournait sur le dos  et regardait le  plafond, les yeux dans le  vague. Suzanne se
              montrait compréhensive. Septique mais compréhensive. Comment pouvait-il se mettre

              dans une situations pareille ? Etait-il sincère ?

                    Un samedi, alors qu'elle faisait son marché à Saint-Quentin, elle aperçut Yves à la
              terrasse de L'Uni, un café sur la place de l'Hôtel de Ville. Il était avec un ami. Son cœur



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