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N° 58 Suzanne
Elle avait eu maintes fois l'occasion d'être appelée pour des soins urgents au 32,
avenue du manoir, 5ème étage, porte gauche. Mais ce matin là, fatiguée par une nuit
d'insomnie, elle s'arrêta au 4ème étage, et frappa porte gauche. A peine s'était-elle
aperçue de son erreur, qu'une voix résonna dans la pièce du fond : « Enfin ! Je vous
attendais ».
Cette voix ! ? Une vague d'émotion la submergea. L'air lui manqua comme s'il
avait été siphoné. Cette voix. Je la connais. Mais je ne vois...
Quand la silhouette d'un corps massif apparut dans le couloir mal éclairé, elle ne
le reconnut pas. Mais dès qu'il fut dans la lumière, elle recula sur le palier.
– Suzanne ! dit-il, c'est toi ? Ah, ça ! Quelle surprise !
Ses cheveux clairesemés lui tombaient sur les yeux. D'un revers de main, il les
replaça à l'arrière.
– Yves ? Elle retrouva sa respiration.
Elle ne savait pas quoi faire, quoi dire. C'était complétement inattendu ! Sourire ?
Elle n'en avait pas vraiment envie. Que faisait-il là ? Habitait-il cette ville ? Elle
bafouilla :
– Je, je me suis trompée de porte ... ou d'étage, je ne sais pas, j'ai rendez-vous
avec madame Colin, dit-elle en regardant autour d'elle. Elle aperçut le numéro de
l'étage en face de l'ascenseur. Effectivement, elle aurait dû se trouver à l'étage
supérieur.
– Ex... excuse-moi, je suis attendue au 5éme, dit Suzanne en réussissant à être
polie.
– Je te retrouve après ton rendez-vous ! lui cria-t-il alors qu'elle filait dans l'escalier
à la vitesse d'un félin.
Elle arriva toute rouge et essouflée chez Madame Colin. Je te retrouve après ton
rendez-vous ! Ça siflait dans ses oreilles. Pourquoi avait-elle fuit ainsi ? Elle réussit à
dissimuler son trouble en examinant madame Colin, du moins le pensa-t-elle. Elle
pratiquait maintenant depuis 25 ans, et elle savait ce qu'elle avait à faire. Le cas de
madame Colin était préoccupant. Cette vieille femme de 90 ans souffrait d'un zona
ophtalmique qui lui brûlait l'oeil droit ainsi que toute la partie droite du crâne. Elle se
grattait la tête jusqu'au sang et il fallait lui administrer un calmant. Si madame Colin
avait été plus jeune, Suzanne aurait tenté l'hypnose et la sophrologie, mais sa patiente
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