Page 33 - affiche-plume-2020.indd
P. 33
Tétanisée, elle ouvrit des yeux exorbités sur l’animal perché sur le dossier de la
vieille. L’oiseau hochait la tête comme pour saluer la visiteuse. Un perroquet vert !
L’ancêtre riait de toutes ses rides :
« Il est à vous ! A mon âge, et avec mes jambes malades, je ne peux pas m’en
occuper. Il parle, mais je n’entends rien à son jargon. Enfin vous verrez… »
Ce cadeau, c’était juste pour se débarrasser d’un truc encombrant. Arielle pensa à
son unique neveu, à Brest, un adolescent souffreteux qui adorait les animaux ; elle
se dit qu’après tout… Bon, finalement, elle prendrait le perroquet, pour lui.
Après les soins exécutés avec douceur et dextérité, vint l’infusion de verveine-
marube blanc partagée sur la table de cuisine. C’était la tradition. Puis Arielle se
retrouva sur le palier, son volatile emmailloté serré dans un châle mauve au crochet.
Tenu fermement, l’oiseau se débattait, la tête prise dans les mailles qu’il cherchait à
couper. Comment se comporterait-il quand elle reprendrait sa voiture ?
A l’étage au-dessous, le couloir était redevenu silencieux. Le local de
maintenance était fermé et le géant avait disparu. Arielle pensa soudain à ce qu’avait
glapi la naine en peignoir : elle possédait une cage ! Donc, cette fois, ce ne fut pas
par étourderie qu’elle frappa à la porte bleue du 4ème. Elle attendit, tandis que
l’engin à plumes qui se tortillait dans son bras replié se mit soudain à jargonner :
Rréleurrr ! Rréleurrr !
La porte s’ouvrit lentement. La naine était habillée, maquillée. Sans sa charlotte
et ses bigoudis, la petite dame arborait un visage ravissant encadré d’un savant
fouillis de boucles. Ses lèvres nacrées et ses pommettes poudrées d’ocre lui
donnaient un air de poupée ancienne. Une robe longue à fleurs roses masquait
judicieusement le tassement lourd du bas du corps. Arielle voulut s’excuser pour le
dérangement matinal, mais la naine parla la première, en s’effaçant pour faire entrer
sa visiteuse.
« Je vous attendais, tout autant que ma cousine que vous venez de voir.
-Ah bon, c’est votre cousine ! Elle ne m’avait jamais parlé de vous ; elle vient de
me faire un cadeau : regardez-le ! Le problème, c’est que je n’ai pas de cage ; or, il
me semble que vous en avez une… »
Aussitôt, la naine disparut dans son arrière-cuisine et revint avec une cage aussi
grande qu’elle, en forme de pagode. « C’était la cage de mon Bébert. Il est mort. »
Arielle ne s’enquit pas de savoir qui était Bébert mais osa demander pourquoi elle
avait prétendu entendre son appel téléphonique à la concierge. Réponse de la
naine :
3