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Tétanisée, elle ouvrit des yeux exorbités sur l’animal perché sur le dossier de la

               vieille. L’oiseau hochait la tête comme pour saluer la visiteuse. Un perroquet vert !

               L’ancêtre riait de toutes ses rides :
               « Il est à vous ! A mon âge, et avec mes jambes malades, je ne peux pas m’en

               occuper. Il parle, mais je n’entends rien à son jargon. Enfin vous verrez… »

                   Ce cadeau, c’était juste pour se débarrasser d’un truc encombrant. Arielle pensa à
               son unique neveu, à Brest, un adolescent souffreteux qui adorait les animaux ; elle

               se dit qu’après tout… Bon, finalement, elle prendrait le perroquet, pour lui.
                    Après les soins exécutés avec douceur et dextérité, vint l’infusion de verveine-

               marube blanc partagée sur la table de cuisine. C’était la tradition. Puis Arielle se
               retrouva sur le palier, son volatile emmailloté serré dans un châle mauve au crochet.

               Tenu fermement, l’oiseau se débattait, la tête prise dans les mailles qu’il cherchait à

               couper. Comment se comporterait-il quand elle reprendrait sa voiture ?
                         A   l’étage   au-dessous,   le   couloir   était   redevenu   silencieux.   Le   local   de

               maintenance était fermé et le géant avait disparu. Arielle pensa soudain à ce qu’avait
               glapi la naine en peignoir : elle possédait une cage ! Donc, cette fois, ce ne fut pas

               par étourderie qu’elle frappa à la porte bleue du 4ème. Elle attendit, tandis que
               l’engin à plumes qui se tortillait dans son bras replié se mit soudain à jargonner :

               Rréleurrr ! Rréleurrr !

                   La porte s’ouvrit lentement. La naine était habillée, maquillée. Sans sa charlotte
               et ses bigoudis, la petite dame arborait un visage ravissant encadré d’un savant

               fouillis   de   boucles.   Ses   lèvres   nacrées   et   ses   pommettes   poudrées   d’ocre   lui

               donnaient un air de poupée ancienne. Une robe longue à fleurs roses masquait
               judicieusement le tassement lourd du bas du corps. Arielle voulut s’excuser pour le

               dérangement matinal, mais la naine parla la première, en s’effaçant pour faire entrer
               sa visiteuse.

                   « Je vous attendais, tout autant que ma cousine que vous venez de voir.
                   -Ah bon, c’est votre cousine ! Elle ne m’avait jamais parlé de vous ; elle vient de

               me faire un cadeau : regardez-le ! Le problème, c’est que je n’ai pas de cage ; or, il

               me semble que vous en avez une… »
                   Aussitôt, la naine disparut dans son arrière-cuisine et revint avec une cage aussi

               grande qu’elle, en forme de pagode. « C’était la cage de mon Bébert. Il est mort. »
               Arielle ne s’enquit pas de savoir qui était Bébert mais osa demander pourquoi elle

               avait prétendu entendre son appel téléphonique à la concierge. Réponse de la
               naine :


                                                                                                         3
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