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N° 6 Je vous attendais !
Elle avait eu maintes fois l’occasion d’être appelée pour des soins urgents au 32,
avenue du manoir, 5 ème étage, porte gauche. Mais ce matin-là, fatiguée par une nuit
d’insomnie, elle s’arrêta au 4 ème étage, et frappa porte gauche. A peine s’était-elle
aperçue de son erreur, qu’une voix résonna dans la pièce du fond :
« Enfin ! Je vous attendais ». C’était une voix masculine, plutôt bourrue, venue du
fond du couloir, d’une petite pièce dont la porte grise était entr’ouverte mais qu’Arielle
avait toujours vue fermée quand elle passait devant avant d’attaquer l’escalier du
5 ème . Ce devait être un cagibi, une réserve pour l’homme de service. La jeune femme
quitta la porte bleue où elle venait de frapper et s’approcha du cagibi.
« Mmm… Monsieur ? Vous faites erreur : je ne suis pas la personne que vous
attendez. D’ailleurs, je me suis trompée d’étage, je n’ai rien à faire ici. » En réponse,
elle eut droit à des borborygmes furieux et des entrechoquements de cartons.
Derrière elle, la porte bleue s’était ouverte à son tour. Comme un fantôme, une
silhouette blanche se détacha de l’entrée sombre, avança sur le paillasson, bâilla
sans gêne et s’étira. Arielle crut d’abord que c’était une enfant. Pourtant, sous la
charlotte en dentelle, la tête était celle d’une adulte. Emmaillotté-boudiné dans une
robe de chambre blanche qui balayait le sol, le reste du corps avait la taille d’une
gamine de dix ans, la carrure en plus large. Une naine !
A sa mine renfrognée, Arielle pensa qu’elle avait dû la réveiller. Elle s’en voulut
doublement de son étourderie, car en plus, tout là-haut au 5 ème , sa patiente attendait.
Quelle galère : une nuit fichue et une journée qui commençait mal !
Elle allait pour s’excuser auprès de la petite dame quand la voix du cagibi se fit
entendre, tonitruante, par-dessus le charivari d’objets remués :
« Y peuvent pas ranger leur bazar chez eux ! Y en a marre de tout ce bordel ! » Un
fracas métallique se répercuta dans le couloir, suivi d’un formidable : « Et zut ! Doit
être cassée ! »
Au milieu du couloir, le petit fantôme blanc avait disparu, épouvanté. La porte du
réduit s’ouvrit en grand sur un géant roux qui sembla se déplier. Il se planta devant
Arielle, un morceau de cage à oiseaux dans chaque main.
« Et comment que j’vais faire pour garder votre perroquet, maintenant ?
- Monsieur, je vous répète, vous vous trompez, et je n’ai pas de perroquet. Je …
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