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Mais Gauguin est cloué sur place par sa dette, c'est Théo, le frère de Vincent
               qui l'en délivre. Dans ses lettres Van Gogh manifeste sa hâte de voir arriver
               Gauguin qui lui n'est pas pressé, son souvenir de Vincent n'est pas
               franchement positif. Mais ce dernier s’enthousiasme pour sa vie au soleil et
               semble habité d'un espoir nouveau.
               Et puis Aristide est très intrigué par la « maison jaune » dont parle Vincent
               dans sa correspondance. Il y voit des augures favorables et encourage Paul à
               partir. En octobre 1888, Ils quittent enfin la Bretagne pour la Provence.

               En attendant, pour décorer la future chambre de Paul, Vincent peint une série
               de tournesols. Les fleurs fanent rapidement, il peint avec frénésie, il arrache
               les couleurs à sa palette avec une folle détermination. Des virgules jaune
               foin, terre de sienne brûlée, feuille d’automne modèlent les contours
               gracieux des tournesols dans leur plein épanouissement. Le vase est
               modeste, parfois la fleur s’écroule sous le poids des bourgeons de graines. Il
               les aime aussi fanés, à la limite du pourrissement. De minces lattes orange
               rehaussent la beauté de l'éphémère et illuminent les murs blancs.
               Les voyageurs arrivent éreintés. Le train a lambiné pour traverser la France
               depuis Quimperlé. Ils dînent au restaurant dans lequel Vincent à ses
               habitudes. La collaboration s’annonce fructueuse pendant cette soirée bien
               arrosée, la table est bonne, les langues se délient.
               En cette douce arrière-saison, la lumière est belle. Aristide se sent comme
               arrivé à destination. Ce n’est pas Paul, mais lui qui aura le coup de foudre
               pour les tournesols. Quand Paul et Vincent entament leurs duels de pinceaux
               et de brosses, c’est lui qui passe des heures en contemplation devant les
               toiles de Van Gogh. Il se délecte de ces camaïeux de jaune de cadmium, de
               beurre crépitant, d’ocre de Roussillon, de bronze patiné. Vincent est un
               virtuose de la nuance.
               Aristide sait ce qu’il va broder désormais sur son prochain gilet, des boules
               de feu, dans l’esprit de cette pyrotechnie flamboyante.

               Tout ici l’enchante, l’anis a remplacé l’absinthe. Il se laisse porter par la
               nonchalance ambiante, se gave de collines blondes. S’enivre de mistral et du
               chant des dernières cigales. Le ciel n’est plus de vase, mais « chauffé à
               blanc » comme le dit Vincent. La nuit révèle un bleu profond strasse,
               renvoie des constellations en myriades clignotantes. Mais le paradis n'est
               qu'artificiel, la première soirée idyllique laisse vite place à la querelle entre
               ces deux artistes hors-norme. Ils s'évaluent, se comparent, soupèsent leurs
               talents pour finalement s'opposer. De paysages en portraits, pendant deux
               mois ils se livrent un combat sans répit qui semble futile : imagination contre
               observation. Un combat qui se révèlera implacable et lourd de conséquences.
               Paul se peint pour Vincent, Paul peint Vincent et ses tournesols, Vincent
               peint pour Paul. Mais le moral de Van Gogh sombre avec son projet d’atelier
               du Midi.
               Vincent zèbre, Vincent hache, Paul ponctue.

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