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Une fois chez elle, elle se poste à nouveau près de la fenêtre, le temps que le micro-ondes

            tourne et enfourne son assiette de pâtes. Les gens sortent de leur carapace autour du fleuve, juste
            avant que le pont ne se fende pour laisser passer un canoë touristique, des enfants sautent dans les

            flaques de boue en hurlant de rire, arrachent des pâquerettes sur la pelouse gorgée d'eau, des
            passants s'embrassent langoureusement à la sortie du petit bateau, jettent des boules de pétanque

            dans un recoin et mangent un sandwich sur les bancs.
                   Émeline aurait pu aller loin, comme eux. Sortir et profiter d'une chape de silence intérieur

            afin de trouver des corps encore chauds, grouillant de bonheur battant treize fois de suite au cœur

            sans tomber, sans jamais porter le deuil et la culpabilité de rester seule au monde. Épuisée par
            l'ouvrage au moulin. Perdue avec l'absence de l'amour.

                   Ses doutes s'envolent avec la sonnette du micro-ondes.


                   Jordan ose franchir un pas en l'appelant en fin d'après-midi.
                   -Tu as changé d'avis ? attaque-t-elle d'emblée.

                   - Non, ça commence à grouiller de monde.

                   - Tu rentres demain comme prévu ?
                   - Si le train ne fait pas faux bond, bien sûr, ma puce.

                   - Au fait...

                   - Ouais ?
                   - …

                   - …
                   - Je...

                   - Qu'est-ce qu'il y a ? T'as un souci ?
                   - …

                   - …

                   - Non, c'est rien. C'est trop tôt pour te le dire. Demain, si tu veux.
                   - OK. Je serai de retour en milieu de journée. Bisous.

                   - Bisous.
                   Quand elle raccroche, Émeline a envie de se frapper la tête contre un mur. Ce n'est pas

            tellement à elle-même qu'elle en veut, mais à ce vendredi 13 qui joue la balance de la justice entre
            le positif et le négatif, comme les pôles d'une pile non rechargeable, et inversement.



                   Le soir tombe et elle s'endort nonchalamment.
                   Il ne reste plus qu'à attendre les premières notes d''espérance, un air de flûte en sol venant du


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