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en quelque sorte de la croix christique et équivalant sans doute à une prière pour
                      garder le malheur au loin. Les gens feraient mieux de s’abstenir de rire : combien
                      d’entre eux n’ont jamais proféré un « Je touche du bois » même s’il s’agissait de leur
                      propre tête car ils ne disposaient de rien d’autre à portée de main. Ni Marco, ni Isaura
                      n’avait osé laver sa cape noire faisant partie intégrante de l’uniforme traditionnel des
                      universitaires du lieu, ce fameux habit rendu célèbre grâce à J.K. Rowling. Mais si,
                      vous savez, celui de la saga « Harry Potter » revêtu à Poudlard… Même si la ville ne
                      rendait pas cette interdiction obligatoire, autant mettre la chance de son côté, non? Ils
                      l’avaient dès lors simplement rafraîchie en l’aérant régulièrement.

                             Au fil du temps, ses peurs avaient même augmenté au point de devenir parfois
                      handicapantes au quotidien. Elle était véritablement atteinte de triskaïdekaphobie puis
                      celle-ci s’était muée en paraskevidékatriaphobie. En clair, elle redoutait atrocement le
                      nombre 13 seul puis tous les vendredis 13! Elle pratiquait des actes d’évitement autant
                      que faire se pouvait pour juguler sa névrose phobique mais cela s’avérait de plus en
                      plus ardu et elle devait ruser d’imagination pour se protéger.

                             Non, elle n’était pas folle : elle avait effectué des recherches pour s’en
                      convaincre car, il faut bien l’avouer, cette pensée lui avait un temps traversé l’esprit.
                      Eh bien, elle avait appris entre autres que Jacques de Molay, Grand Maître des
                      Templiers, avait été condamné au bûcher un 13 octobre et que la monarchie de
                      Philippe IV le bel s’en était mordue les doigts ; qu’en 1970, la mission spatiale avait
                      rencontré bien des embûches. La fameuse Apollo 13 comme par hasard… ; que les
                      avions ne possédaient pas de treizièmes rangées de sièges ; que l’on devient teenager
                      avec tout son cortège de mal-être à treize ans et que c’est au même âge que l’on
                      célèbre, dans le judaïsme, la bar-mitzvah et que l’on doit assumer ses actes et plus se
                      retrancher derrière la protection de ses parents. Bref, pas moyen selon elle d’échapper
                      à cette  malchance tenace!

                             Donc, ce vendredi 13, elle le passerait allongée dans son lit pour minimiser les
                      éventuels dégâts et se retaper de sa gueule de bois par la même occasion. Elle avait
                      préparé le terrain l’avant-veille en disant à ses collègues qu’elle ne se sentait pas dans
                      son assiette et avait téléphoné hier à son supérieur, avant de partir chez Marco, pour
                      l’avertir qu’elle était fiévreuse et toussait beaucoup et qu’elle reviendrait au bureau
                      lundi sans faute pour ne pas contaminer les autres. Elle avait averti Marco qu’elle ne
                      voulait aucune photo d’elle circulant sur les réseaux sociaux : elle ne tenait pas à se
                      faire griller comme tous ces imbéciles qui feignent une maladie et s’exposent en
                      images à tout va, finissant par être interceptés par leur patron puis licenciés. Et puis,
                      c’était pour une raison gravissime et les vendredis 13 n’arrivaient pas si souvent,
                      heureusement pour elle et son employeur!
                             Elle alla relever son courrier et découvrit une grande enveloppe blanche à en-
                      tête pré-imprimée et émanant du Ministre de la Science, département de la Recherche
                      Scientifique. Contre toute attente, elle découvrit enfin l’opportunité de partir travailler
                      dans le domaine de l’océanologie, ce à quoi elle était formée, en plein Pacifique pour
                      une durée de deux ans, en Polynésie française, aux Samoa, aux îles Cook et à d’autres



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