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conductrice, ni la passagère, ni même le maître ne l’avaient réconfortée. Ce dernier
                      l’avait simplement gratifiée d’un « Priorité n’est pas mère de sécurité » ou quelque
                      chose dans le genre, comme si c’était elle la fautive. Les deux autres sortaient de leur
                      allée privée! Franchement, il aurait pu « mieux faire » comme il l’indiquait parfois
                      dans son bulletin scolaire, avait-elle immédiatement pensé. Elle s’était souvenu qu’elle
                      avait vu passer un chat noir courant à toute vitesse lorsqu’elle refermait la porte du
                      garage et le rapport de cause à effet s’était établi en elle et incrusté à jamais! Trois
                      semaines plus tard, elle se rendait à pied à l’épicerie du coin et écoutait Ronaldo, le
                      peintre en bâtiment de son village, fredonner un fado quand sa jolie robe vichy rose et
                      blanc fut éclaboussée par un pot de couleur qui vint juste s’écraser à ses pieds sur le
                      trottoir. Là aussi, pas de quoi fouetter un chat, même noir mais elle était bel et bien
                      passée sous son échelle auparavant : cela lui avait porté malchance! Elle avait revêtu
                      un costume vert pomme pour incarner une chenille au bal masqué du carnaval
                      lorsqu’elle avait 10 ans et le feu avait pris dans les coulisses, heureusement en
                      n’occasionnant que des dégâts matériels mais c’était cette couleur la responsable, elle
                      en restait encore actuellement convaincue! Et elle pouvait multiplier les anecdotes au
                      fil de sa vie, il en existait à profusion. A peine un mois auparavant, elle avait ouvert
                      son parapluie dans le living pour vérifier s’il était sec avant de le ranger dans la
                      penderie. Eh bien, la même après-midi, son chien Kiki avait failli s’étouffer avec des
                      arêtes de sardines. Et pourtant, elle savait que cela portait malheur de le faire
                      fonctionner ailleurs qu’à l’extérieur… Où avait-elle donc la tête à ce moment précis?
                      Ah oui, elle se focalisait sur le vendredi treize qui allait montrer le bout de son nez
                      quelques semaines plus tard… Oh, et puis il y avait surtout la fois où son père avait
                      fêté ses septante ans. Jusqu’à la semaine précédant les retrouvailles familiales, on
                      devait être douze à table puis il s’était rendu compte qu’il avait oublié d’inviter sa
                      tante Linda à qui il rendait visite sporadiquement… Elle avait tenté par tous les
                      moyens de l’en dissuader pour éviter de répéter symboliquement la Cène du Christ car
                      un des convives mourrait dans l’année et puis, le service bleu et blanc de maman était
                      prévu pour douze donc quelqu’un se sentirait de trop,… ! « Ca suffit avec tes
                      fariboles! Tu nous casses les pieds depuis l’enfance avec ces stupidités! Tout cela,
                      c’est la faute de avo Amelia : elle t’a pourri le cerveau avec sa dévotion catholique et
                      sa superstition hors norme! Nous sommes portugais mais enfin, il y a des limites, non?
                      C’est moi qui ferai Judas et qui mangerai dans de la vaisselle brune, ça te va comme
                      ça? » avait hurlé son paternel, lui qui ne se départait jamais de son sang-froid
                      habituellement. Il devait être excédé au plus haut point. Elle n’avait pas osé répliquer
                      mais toujours est-il que sa grande tante était décédée treize jours plus tard,
                      inopinément. Toujours ce maudit nombre! Bon, d’accord, elle avait soufflé ses 91
                      bougies mais tout de même, elle se montrait en pleine forme avant… de passer l’arme
                      à gauche.

                             Ce n’est pas le passage à l’université de Coïmbra et l’entrée dans la vie en tant
                      que jeune adulte qui avait fait changer d’avis Isaura. Elle y avait rencontré Marco dès
                      la première année et lui aussi tâchait régulièrement de conjurer le mauvais sort. Il se
                      présentait ainsi à toutes ses sessions d’examens accompagné d’un grigri : d’abord un
                      trèfle à quatre feuilles mais, au vu de ses résultats, il l’avait troqué pour une patte de
                      lapin qui, ma fois, avait eu l’air de mieux fonctionner car il avait terminé brillamment
                      son master au même titre qu’elle qui emportait toujours un petit bout de bois, substitut

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