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N° 11                       Au bon endroit, au bon moment.



                             Il pleuvait ce jour-là lorsqu’elle s’est levée.

                             « Ah ! au fait quel jour sommes-nous ? » se dit-elle. « Vendredi 13 ?!
                      Zut !»

                             Elle n’aimait pas les vendredis 13 qui lui réservaient toujours des
                      surprises.

                             Isaura, en temps normal, aurait anticipé cette date d’une manière ou d’une autre

                      pour s’y préparer au mieux psychologiquement et stratégiquement et elle ne se serait
                      pas demandé le quantième on était en sortant de son lit.  Mais, la veille, elle avait fêté

                      les 30 ans de Marco, son meilleur ami et trinqué un peu trop à l’excellente santé de
                      celui qui entrait désormais dans la tranche « 30-40 » de tous les sondages à venir dans

                      la décennie…


                             Sa tête se trouvait prise comme dans un étau mais son estomac s’en sortait
                      indemne : elle se prépara une bica très corsée, un expresso comme on les nommait
                      dans le sud de son pays natal et l’accompagna de pain beurré et de confiture de courge.
                      De toute manière, elle n’avait pas entendu la sonnerie de son réveil donc autant ne pas
                      se priver d’un bon petit-déjeuner suivi d’une douche revigorante aux senteurs
                      gingembre/citron. Cela lui remonterait un peu le moral car apercevoir par la grande
                      baie vitrée cette fine pluie serrée et ce ciel grisâtre dès le début de la journée lui
                      flanquaient le bourdon. Mais son regard revenait encore et encore, comme attiré par un
                      aimant, vers le calendrier : les chiffres 1 et 3 disposés côte à côte la rendaient de plus
                      en plus nerveuse.
                             D’aussi loin qu’elle se souvienne, elle s’était toujours montrée superstitieuse et
                      restait persuadée que ses craintes n’étaient pas insensées, contrairement à ce que bien
                      des gens lui rétorquaient toujours. Depuis longtemps, elle préférait ne plus engager des
                      discussions sans fin sur le sujet : chacun campait sur ses positions en accordant une
                      oreille très distraite aux arguments de la partie adverse. Elle s’était d’ailleurs fâchée
                      définitivement avec ses deux meilleures amies d’enfance à cause de cela car, chez elle,
                      cette crainte irrationnelle n’avait cessé de croître avec les années. Elle avait bien
                      essayé de lutter, de se raisonner. La petite voix dans sa tête se faisait toujours entendre
                      et ne se montrait pas avare d’injonctions : « Attention, si…, il va t’arriver… »

                             Son premier souvenir remontait à l’année de ses huit ans. Elle se rappelait
                      l’incident comme si cela datait d’hier : elle avait été légèrement heurtée par la voiture
                      de ses voisines qui papotaient sans trop faire attention aux usagers faibles lorsqu’elle
                      venait d’enfourcher son vélo pour se rendre à l’école. Oh, rien de bien grave mais ni la




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