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regard et de compétences techniques rares, loin des garages franchisés qui tournaient à plein régime
avec des contingents d’apprentis, et sans suivi personnalisé. Le garage de Xavier, c’était la garantie
du temps, du bon diagnostic et de l’intervention sur mesure. Tom avait quand même fini par lâcher
le job après sa rencontre avec Nora, qui ne supportait plus de le voir revenir avec de la graisse dans
les cheveux et une odeur d’écrou tenace qui le suivait jusqu’à l’oreiller. Tom avait capitulé. Et puis
il ne fallait pas se mentir : il avait envie lui aussi de passer à autre chose. Mais quoi ?
Il avait fallu vingt-deux minutes pour démonter quelques pièces et ouvrir le plancher du fourgon.
Un record. Engoncés dans leur planque mais tendus et concentrés, ils avaient réussi à sortir les sacs,
un à un, et à les aligner le long du mur arrière, en les poussant avec leurs pieds chaussés de baskets
noirs, trempées par la pluie de la nuit.
Tom et Nora se regardèrent. Bonnet sur le crâne, cagoulés, un clin d’oeil suffit pour faire passer un
message très net : jusqu’ici tout va bien, voire plus que bien.
Tom avait alors pratiqué une sorte de nettoyage de son chantier, en ne laissant rien au sol pour ne
pas attirer l’attention trop rapidement. Dans trente-quatre minutes, quand l’équipe de convoyeurs se
retrouverait dans le hangar, ils boiraient un café ensemble sans se douter que le fourgon est
inopérent. Sans se douter qu’une femme n’avait rien lâché dans sa quête d’informations et qu’elle
avait réussi à savoir comment et quand allait se dérouler le transport de ce chargement. Qu’elle
avait sérieusement entamé la carapace de fiabilité de l’entreprise, jusqu’à collecter le plan du hangar
et quelques photos. Elle n’avait rien lâché, elle avait tout obtenu.
Pas mécontents de bouger leurs corps enkylosés, ils s’extirpèrent du dessous du véhicule pour
effectuer la dernière danse du petit matin : des allers-retours furtifs, derrière les fourgons en
sommeil, sac par sac, tas par tas, ils faisaient coulisser, glisser le chargement, jusqu’à l’entrée, dans
les angles morts, dans la concentration. Nora avait beaucoup insisté sur cette étape cruciale : « on ne
relâche rien, on reste sur nos gardes, on se baisse, on se planque, on ne montre pas un bout de crâne,
on ne leur donne rien. »
Vendredi 13 janvier, 6h05. Tom refixait les fils de la goulotte pour réarmer l’alarme, Nora chargeait
les sacs dans le break garé depuis la veille sur le terre-plein où somnolaient quelques poids lourds et
des véhicules endommagés. Ils l’avaient laissé à cet endroit une bonne semaine, une fois par mois
depuis six mois, pour qu’il fasse partie du décor. Leur break poussiéreux affublé de quelques
autocollants de luttes engagées et de groupes de rock locaux. Une vignette de contrôle technique
bidouillée sur logiciel. Un vrai véhicule de gangsters du dimanche, qu’ils n’avaient pas prévu de
remplacer, même avec des moyens considérables.
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