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possibilité de gagner en quelques minutes assez d’argent pour ne plus penser à rien, pour vider leur

            esprit des galères et des embrouilles quotidiennes, et repartir sur autre chose.
            C’est surtout Nora qui avait maintenu le feu de l’espoir allumé dans leur esprit, surtout pendant

            leurs discussions et leurs débats, parfois orageux. Tom, lui, avait certes accueilli favorablement
            l’idée, sans toutefois lâcher complètement le doute et la crainte. Cette technique avait toujours fait

            ses preuves chez lui : c’était sa manière de construire les projets à plusieurs. Ne pas se lancer tête
            baissée mais tourner autour de l’idée pour la questionner, lui lancer des pics et voir comment ça

            bouge, découvrir les points de fragilité, pour au final, être plus fort. À sept ans, il avait rendu fous

            ses copains d’école lors du projet de construction d’une cabane :
            « Et s’il pleut avec un vent d’ouest, on sera à l’abri ? »

            « Imaginons que les CM2 nous attaquent avec des cailloux… Le toit va-t-il tenir ?»
            Ses interrogations étaient souvent perçues comme autant de reculades et de frein à l’initiative. Lors

            d’un voyage d’étude à Toulouse, à l’âge de vingt ans, à l’heure de choisir un bar pour démarrer une
            soirée qui s’annonçait bien arrosée, il avait proposé de séparer le groupe et de répartir équitablement

            garçons, filles, fêtards connus et déprimés célèbres, afin de garantir la meilleure soirée à l’ensemble

            du groupe. Il avait perdu beaucoup de crédit dans cette discussion, sur la place du Capitole. Selon
            lui, c’était juste du bon sens.



            Une fois dehors, Nora le regarda et vit que les gouttes de pluie glissaient sur son front plissé. Elle
            espérait que le choc de leur vie allait avoir lieu. Ras-le-bol de la ville trop chère. Ras-le-bol de la vie

            trop étriquée. Ras-le-bol de la famille, un ramassis de cas sociaux toujours prêt à débarquer chez
            eux et parler fort pour ne rien dire, et quand ça disait quelque chose, c’était pour commenter une

            émission de télé ou demander pourquoi ils n’avaient pas d’enfants, tout en ouvrant bruyamment des
            paquets de chips format familial. L’an dernier, quand Nora avait perdu son boulot en plein hiver,

            son grand frère n’avait rien trouvé de mieux à dire que c’était sans doute quelque chose de positif.

            Au moins ils seraient sur un pied d’égalité. Les chômeurs parlent aux chômeurs, ça créé moins de
            confusion. Mais quels débiles. Ce job, c’est pas qu’elle en redemandait, mais ça lui permettait de

            bien cadrer sa vie. Elle avait tellement besoin d’une espèce de repère stable, une ligne d’horizon ou
            plutôt, une ligne blanche pour mettre ses roues dessus. Comme cela, ses idées et ses émotions,

            parfois explosives, se trouvaient manipulées et traçaient un sillon pas trop dérangeant. Sans ce
            contrat, elle était presque sortie de la route. Heureusement que l’idée du fourgon l’avait remise en

            selle.


            Une sacrée bonne idée, pensèrent-ils en soufflant fort.





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