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Elle recomposa son appel mais au même instant la voix du conducteur du train se fit
entendre :
« Mesdames et messieurs nous entrons dans le tunnel Saint-Gothard. Nous vous
rappelons que toute communication téléphonique sera impossible le temps de la
traversée. Pour tout renseignement, veuillez vous adresser au personnel de bord. Notre
équipe reste à votre disposition. »
La respiration ralentit, les yeux devinrent vitreux, le sang coulait toujours. La tête du jeune
homme semblait prête à tomber vers Rebecca qui continuait de fixer cet inconnu avec une
fièvre inédite. Elle plongeait son regard sur lui comme s'il s'était agi de son fils, d'un
homme qu'elle aimait, d'un être cher. Il n'était pas question de l'amour entre un homme et
une femme, Rebecca ne désirait pas cet homme, mais c'est la vie humaine qu'elle
regardait, là, dans ses bras. Elle assistait, impuissante, à l'extinction d'une vie et cela la
terrifiait. Que pouvait-elle faire ? Crier ? Courir et appeler à l'aide ? Étendre ce corps et
effectuer un massage cardiaque ?
A présent le train était plongé dans une semi-obscurité. Les passagers qui ne dormaient
pas vaquaient à d'autres occupations, et l'on peut dire que le monde autour se foutait
complètement de cet homme à part elle. Le hasard l'avait désigné, elle se retrouvait avec
lui au dernier moment de son existence, son sang avait coulé sur sa peau à elle. Voilà,
c'était son problème. Rebecca, furtivement, eut la sensation d'être une héroïne de tragédie
antique. Elle comprit- chose qui lui avait échappé en cours de Français- l'impasse qui avait
acculé Antigone au mur de son destin tragique. Rebecca se mit à pleurer, brutalement, et
maudit à son tour Créon, son prof de lycée, ses parents, le monstre qui avait fracassé la
tête de cet inconnu et la terre entière par la même occasion.
Quelques poignées de secondes venaient de s'écouler, Rebecca avait tenté de sauver la
vie d'un homme. Cet homme finalement avait perdu la vie, dans une parfaite indifférence
tandis que le TGV Paris-Locarno n° 34 556 entrait dans l'histoire en traversant le plus long
tunnel du monde.
Quand Rebecca comprit que l'inconnu avait rendu son dernier souffle, elle admit en même
temps que sa vie venait de basculer, une fois encore. Elle n'avait aucune idée du bonheur
ou du malheur qu'elle allait embrasser à cause de cet événement. Elle n'avait pas non
plus la moindre idée des choix qu'elle allait adopter. Mais une certitude roula dans sa
bouche. Elle posa la tête de celui qu'elle n'avait pas pu sauver sur le sol. Doucement, elle
passa sa main sur son visage pour lui fermer complètement les yeux. Puis, face à lui, elle
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