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la malédiction était-elle définitivement enrayée ? Un premier cap était passé. Elle commença alors à

            se détendre et à penser plus sereinement à ce qui l’attendait. Elle avait délibérément décidé de ne
            prendre aucun rendez-vous pour cette journée funeste, afin d’éviter les situations délicates, et avait

            même poussé jusqu’à se noter indisponible sur le planning de la société, invoquant un retard de
            paperasse qu’elle voulait combler en se donnant la journée pour tout remettre d’équerre. Aussi fut-

            elle étonnée lorsque la  standardiste lui passa une communication, mais  elle prit quand même le
            client qui voulait la joindre. Un dossier qu’elle suivait déjà depuis quelques années et qu’il n’était

            pas possible d’ignorer en invoquant une excuse, bidon qui plus est. La conversation dura presque

            une heure, le dossier à traiter étant relativement compliqué. Après avoir raccroché Nicole se prépara
            un café à sa machine personnelle, café qu’elle but en restant dans son bureau. Elle voulait éviter de

            rencontrer qui que ce soit aujourd’hui, afin de limiter les possibilités de commettre des gaffes ou de
            croiser les regards de ses collègues, moqueurs par anticipation. Elle s’appliqua donc à faire  ce

            qu’elle avait prévu : du rangement. Elle voulait rentrer chez elle ce soir en ayant remis de l’ordre
            dans ses dossiers papiers et numériques. Ce n’était pas une petite affaire, parce que les activités de

            l’entreprise étant florissantes, le nombre de clients qu’elle suivait augmentait rapidement et depuis

            quelques temps elle ne trouvait plus une minute pour ce classement pourtant indispensable. Elle fut
            quand même interrompue à plusieurs reprises par des collègues qui frappaient à sa porte pour lui

            demander de l’aide, aide qu’elle leur apporta a minima, ou par des communications téléphoniques

            que lui passait la jeune femme de l’accueil. Elle n’avançait pas beaucoup dans son tri, et voyait le
            moment où, la journée terminée,  elle n’aurait pas atteint son objectif. Mais elle n’osait pas

            rembarrer ses collègues purement et simplement parce qu’en ce jour spécial elle voulait éviter toute
            situation délicate, mais aussi et surtout parce que ce n’était pas dans ses habitudes. Nicole était une

            personne plutôt facile à  vivre, gaie et aimable, prête  à rendre service quand elle le pouvait. Ses
            collègues n’auraient pas compris un brusque changement d’humeur et se seraient interrogés. Nicole

            ne voulait pas risquer d’être une nouvelle fois  la cible de leurs moqueries, si elle leur avouait

            pourquoi elle voulait qu’on la laisse tranquille. Finalement, elle avait hâte d’être rentrée chez elle,
            hâte de cesser cette comédie, hâte d’entendre la voix de son amoureux au téléphone, hâte de lui

            raconter un vendredi 13 qui contrairement aux  autres s’était merveilleusement bien passé. Enfin
            c’était le cas pour le moment. La journée n’était pas terminée, et sans doute ne fallait-il pas crier

            victoire trop vite. Nicole savait qu’elle devait rester vigilante jusqu’au moment où elle éteindrait sa
            lampe de chevet avant de plonger dans les bras de Morphée. Et qui sait ce qui aurait pu encore

            arriver à ce moment-là ?

                   Vers dix-huit heures la trentenaire quitta son bureau, après un bref salut de la main aux
            quelques personnes encore présentes. La pluie avait cessé depuis quelques minutes et le  soleil

            tentait d’en effacer les traces. Elle refit en sens inverse et sans anicroches le chemin du retour à son


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