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Sa maman et sa propre expérience lui avaient appris qu’il faut savoir se faire désirer, du moins
               dans les limites du raisonnable. Elle réserva donc sa réponse, sous prétexte de devoir vérifier

               son emploi du temps. Elle rentra chez elle sur un petit nuage, marchant du pied droit dans une
               crotte de chien sans que cela n’entame sa bonne humeur. Elle en oublia même d’éviter les

               plaques d’égout.


               Belzébuth était couché sur le paillasson de la voisine. Elle cracha dans sa direction, comme

               elle l’avait fait le matin. Le chat cligna des yeux, et frotta sa joue contre la porte. Une fois
               dans son appartement, elle s’empressa de téléphoner à Margot pour lui raconter sa discussion

               avec Gontran. Margot éclata de rire, et lui demanda s’il n’y aurait pas une place pour elle,
               parce qu’on ne sait jamais, parmi les camarades de promo du jeune homme… Elle promit de

               poser la question. Après avoir raccroché, elle décida de mettre un peu d’ordre dans

               l’appartement, les bouteilles vides sur la table basse la perturbaient. Elle redressa le fer à
               cheval accroché près de la porte d’entrée, qui avait tendance à basculer. Rangea le balai la tête

               en haut, les ciseaux en prenant bien garde de ne pas les faire tomber, et remit à l’endroit le

               pain posé à l’envers sur la table de la cuisine. Elle avait très envie de répondre à Gontran,
               mais elle voulait le laisser mariner encore un peu. Elle s’obligea donc à prendre son temps

               pour dîner, tout en regardant la télévision et en consultant ses mails. Après quoi elle ouvrit la
               fenêtre de la cuisine, vérifia l’absence d’oiseau, tourna le dos à l’extérieur et jeta une pincée

               de sel par-dessus son épaule gauche. Puis elle prit son téléphone, croisa les doigts à cinq ou
               six reprises, toucha sa table en bois – était-ce d’ailleurs vraiment du bois ? – et écrivit un

               message à Gontran l’avisant que c’était bon pour elle, mais serait-ce un problème si elle

               venait avec Margot ? La réponse ne se fit pas attendre : le repas aurait lieu finalement chez la
               mère de Gontran, ils seraient douze à table, et il n’était pas question qu’ils se retrouvent à

               treize, Maman ne le tolèrerait pas.


               Elle resta quelques minutes incrédule, devant l’écran de son téléphone. Se pouvait-il qu’un
               type instruit, éduqué, se montre aussi niais, à gober ce genre de sornettes ? Treize à table, non

               mais et puis quoi encore, est-ce qu’il voyait Margot dans le rôle de Judas ? et lui en Jésus, et

               Maman en vierge Marie ? Elle dut prendre sur elle pour adopter un style mesuré lorsqu’elle
               répondit qu’après vérification, elle était occupée ce week-end-là, et qu’elle en était vraiment

               désolée. Non mais, il pouvait bien être prometteur avec un menton viril et des super chemises,

               l’avocaillon, elle n’allait tout de même pas sortir avec un type qui flippe à l’idée d’être treize
               à table, pour ne pas faire de peine à sa Môôman ??



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