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N° 34                               Eva



                  Il pleuvait ce jour-là lorsqu’elle s’est levée « Ah ! au fait quel jour sommes-nous ? » se

                  dit-elle. « Vendredi 13 ?! Zut ! » Elle n’aimait pas les vendredis 13 qui lui réservaient
                  toujours des surprises. Et ce vendredi 13 là ne  dérogerait  pas à la tradition car, en

                  ouvrant ses mails, elle vit le message du Drh.  Il la convoquait, pile le lendemain du
                  bilan financier.  Au travail,  c’était la période des fossoyeurs  et c’était son tour.  La

                  moindre faute, la plus petite erreur étaient prétextes à licenciement. Elle frissonna. Un

                  moment blanc, vide.


                  Il l’avait  choisie exprès. Proie facile : elle finirait dans son lit ou sur la liste des
                  licenciés. De quelque manière que ce fût, il avait décidé qu’il la baiserait. Il sourit. Il

                  aimait bien sa vulgarité : elle marquait sa puissance.  Depuis plusieurs semaines, une
                  série de mails blessants, plusieurs missions infaisables, l’avaient déjà  fragilisée. Ce

                  serait facile. Pour donner le coup de grâce, il avait choisi le vendredi 13 avril par

                  plaisanterie ; par mépris aussi : toujours flatter les croyances du peuple. Pour elle,
                  qu’importait l’issue, ce serait un mauvais jour. Il venait de lui envoyer le mail. Le

                  rendez-vous de carrière était pour le 16 : parfait pour qu’elle ait le temps de stresser sans
                  avoir celui de se préparer.



                  Elle passa un mauvais week-end, à ressasser toutes les hypothèses, à imaginer le pire, à
                  préparer déjà les négociations avec son bâilleur, avec la banque. Elle  n’avait qu’un

                  CDD. Tout accepter, une baisse de salaire, des heures sup., le dimanche, mais au moins
                  sauver son poste !

                  Au matin, elle n’eut aucun appétit, avala juste une aspirine et un café qu’elle renversa à
                  moitié sur son chemisier. L’anxiété la  rendait maladroite. Trop tard pour changer de

                  vêtement. Elle cacherait la tâche sous un foulard ou garderait son gilet.

                  C’est bête, les rendez-vous importants : on se projette, on élabore des hypothèses, des
                  stratégies, on regarde le temps qui file mais plus l’espace autour si bien qu’on ne la voit

                  pas la plaque d’égout dans laquelle le talon se coince. Et c’est ce qui lui arriva. Elle dut
                  se déchausser pour récupérer l’escarpin. Quand elle parvint enfin à la gare, son RER

                  venait de partir. Elle tenta de se calmer. Pas grave, le prochain arriva dans cinq minutes.



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