Page 187 - tmp
P. 187
N° 34 Eva
Il pleuvait ce jour-là lorsqu’elle s’est levée « Ah ! au fait quel jour sommes-nous ? » se
dit-elle. « Vendredi 13 ?! Zut ! » Elle n’aimait pas les vendredis 13 qui lui réservaient
toujours des surprises. Et ce vendredi 13 là ne dérogerait pas à la tradition car, en
ouvrant ses mails, elle vit le message du Drh. Il la convoquait, pile le lendemain du
bilan financier. Au travail, c’était la période des fossoyeurs et c’était son tour. La
moindre faute, la plus petite erreur étaient prétextes à licenciement. Elle frissonna. Un
moment blanc, vide.
Il l’avait choisie exprès. Proie facile : elle finirait dans son lit ou sur la liste des
licenciés. De quelque manière que ce fût, il avait décidé qu’il la baiserait. Il sourit. Il
aimait bien sa vulgarité : elle marquait sa puissance. Depuis plusieurs semaines, une
série de mails blessants, plusieurs missions infaisables, l’avaient déjà fragilisée. Ce
serait facile. Pour donner le coup de grâce, il avait choisi le vendredi 13 avril par
plaisanterie ; par mépris aussi : toujours flatter les croyances du peuple. Pour elle,
qu’importait l’issue, ce serait un mauvais jour. Il venait de lui envoyer le mail. Le
rendez-vous de carrière était pour le 16 : parfait pour qu’elle ait le temps de stresser sans
avoir celui de se préparer.
Elle passa un mauvais week-end, à ressasser toutes les hypothèses, à imaginer le pire, à
préparer déjà les négociations avec son bâilleur, avec la banque. Elle n’avait qu’un
CDD. Tout accepter, une baisse de salaire, des heures sup., le dimanche, mais au moins
sauver son poste !
Au matin, elle n’eut aucun appétit, avala juste une aspirine et un café qu’elle renversa à
moitié sur son chemisier. L’anxiété la rendait maladroite. Trop tard pour changer de
vêtement. Elle cacherait la tâche sous un foulard ou garderait son gilet.
C’est bête, les rendez-vous importants : on se projette, on élabore des hypothèses, des
stratégies, on regarde le temps qui file mais plus l’espace autour si bien qu’on ne la voit
pas la plaque d’égout dans laquelle le talon se coince. Et c’est ce qui lui arriva. Elle dut
se déchausser pour récupérer l’escarpin. Quand elle parvint enfin à la gare, son RER
venait de partir. Elle tenta de se calmer. Pas grave, le prochain arriva dans cinq minutes.
Page 1 sur 6