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avant de franchir  le porche  avec  prudence, puis elle s’engagea dans la rue en
               direction de l’église de son quartier.

               Comme à son habitude, sur le trajet, elle examina chacune des poubelles de rue.
               Suspendus sur leur support métallique, les sacs transparents offraient leur contenu à

               la vue des passants.  Depuis qu’ils étaient devenus obligatoires,  Angèle améliorait

               considérablement son quotidien tout en préservant sa  fierté. A l’approche  de l’un
               d’entre eux, elle ralentissait suffisamment pour lui laisser le temps d’en examiner le

               contenu et s’il y avait un journal ou une revue, elle soulevait discrètement le
               couvercle et glissait sa trouvaille dans son cabas. Elle collectait ainsi à la fois une

               source d’informations sur les actualités, mais également des jeux et mots croisés qui

               la distrairaient pour la semaine à venir. Lorsqu’elle repérait un peu de nourriture, elle
               n’y touchait pas, la laissant aux plus démunis qu’elle. La vieille dame avait sa fierté et

               désirait plus que tout conserver sa place dans l’échelle sociale de son quartier. Une
               autre source de lecture avait été posée récemment  dans une  ancienne cabine de

               téléphone public : une boite à lire. Lors de  sa découverte, Angèle en était restée

               bouche bée et avait fait plusieurs aller-retour jusqu’à son domicile de peur qu’il n’y ait
               plus aucun livre le vendredi suivant. Mais elle s’était ensuite rendu compte que les

               ouvrages n’intéressaient pas grand monde, tout un chacun étant obnubilé en
               permanence par l’écran de son smartphone. Elle avait souvent l’impression  d’être

               invisible, passant encore plus inaperçue qu’un sans domicile fixe, ce qui lui convenait
               parfaitement. De poubelle en poubelle, en incluant la boite à lire, elle avait adapté

               son trajet  depuis son domicile jusqu’à l’église, sa première  étape, puis jusqu’au

               marché hebdomadaire de plein air.
               Satisfaite de la collecte du jour, elle gravit lentement les  marches du parvis et

               pénétra dans la nef silencieuse. Peu à peu sa vision s’adapta à la pénombre. Elle
               s’avança jusqu’au bénitier, s’y cramponna le temps d’une génuflexion et d’un signe

               de croix. Il n’y avait personne à cette heure-ci. Délaissant le narthex, elle longea l’un

               des collatéraux jusqu’à la chapelle de Marie et s’assit derrière un pilier avant de prier
               un long moment en silence. Elle remercia la Sainte-Vierge pour avoir veillé sur elle

               les jours précédents et plus particulièrement pour son soutien le matin même face au
               suppôt de Satan. Lorsqu’elle se sentit rassérénée, elle alluma un cierge et glissa une

               pièce dans le tronc, sans se soucier le moins du monde du tarif indiqué. La mère de

               Dieu ne lui en tiendrait pas rigueur, elle le savait bien, et le curé non plus. Depuis
               qu’elle l’avait vu moucher un cierge à peine le pénitent sortit puis le remettre dans le

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