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présentoir, elle n’avait plus aucun scrupule et ne craignait pas d’être sermonnée.
Lorsqu’elle fût certaine de la protection du créateur et de tous ses saints, elle quitta
l’édifice et poursuivit son périple jusque chez le buraliste.
Tout du long du chemin, entre chaque poubelle de rue, elle marchait les yeux
baissés, aussi bien pour repérer les obstacles ou les déjections canines qui
risquaient de la faire chuter ou de salir ses souliers, que pour débusquer tout ce qui
brillait et pouvait représenter une trouvaille. C’est fou ce que les gens pouvaient
laisser tomber comme menue monnaie et quand elle en repérait une, elle
s’empressait de la ramasser pour lui permettre de compléter ses achats. Aujourd’hui,
ses prières avaient été entendues et une grosse pièce de deux euros s’était ajoutée
aux centimes qu’elle possédait.
Elle poussa joyeusement la porte du bar-tabac et s’approcha du comptoir, son ticket
de loto à la main. Le patron la salua chaleureusement par son prénom et prit de ses
nouvelles. Tandis qu’il contrôlait son ticket hebdomadaire, elle lorgna vers le
présentoir où s’alignaient des boites transparentes de bonbons colorés, parfumés à
la réglisse. Elle en posa une sur la caisse. A raison d’une pastille par jour, la boite
durerait plus d’un mois. Elle sursauta lorsque le buraliste s’écria :
- « Vous avez gagné quinze euros aujourd’hui ! Je refais les mêmes
numéros ? »
Il lui souriait, ravi semblait-il par cette bonne nouvelle. Angèle n’en croyait pas ses
oreilles. Finalement, ce vendredi 13 était un jour béni, se dit-elle en rangeant son
ticket dans son sac à main. Elle ressortit en gardant les mains dans ses poches, les
doigts crispés sur son porte-monnaie alourdi de ses gains providentiels. Après l’avoir
enthousiasmée, cette cagnotte inattendue, bien que modeste, l’avait rendue
nerveuse. Elle qui avait si peu s’inquiétait à présent de perdre son magot. La matinée
touchait à sa fin lorsqu’elle arriva en vue du marché.
Depuis le temps qu’elle le fréquentait, elle avait remarqué que les commerçants
ambulants étaient toujours plus généreux à l’heure de remballer. Tous la
connaissaient et la saluaient à son passage, politesse qu’elle leur rendait avec
bienveillance. Lorsqu’ils la voyaient compter ses pièces jaunes pour régler ses
achats, certains refusaient gentiment sa monnaie, d’autres rajoutaient des
marchandises. Lorsqu’elle avait beaucoup de chance, en passant devant le camion
du boucher, celui-ci glissait dans son cabas un talon de jambon, un morceau de
saucisse voire même, les jours bénis, une portion de poulet grillé et quelques
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