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elle sortait de chez elle. Elle acheva de s’apprêter en étalant consciencieusement un
peu de rouge à lèvres prélevé à l’aide d’un coton tige dans son tube à présent vide.
Sa bouche ridée avait repris vie et elle se sourit dans le miroir tacheté.
Enfilant son vieux pardessus terne puis sortant son cabas du placard, elle marqua
une pause devant la porte d’entrée, pour faire l’inventaire. Elle effleura la médaille de
Saint-Christophe, protecteur des voyageurs, pendue autour de son cou. Puis
s’assura de la présence, dans sa poche de droite, du chapelet de rosaire en olivier,
complété d’un crucifix, tellement usés à force d’être manipulés, que le vernis avait
sauté et le bois noirci. Enfin elle sortit, de sa poche gauche, une patte de lapin qu’elle
caressa trois fois en murmurant une prière porte-bonheur. Ainsi rassurée, elle ouvrit
la porte d’entrée, tenant fermement ses clés afin de ne pas les oublier dedans en
refermant derrière elle. Elle ne pouvait pas se permettre de payer un serrurier au cas
où elle les laisserait dans la serrure en sortant. Depuis qu’il n’y avait plus de
gardienne et que sa dernière amie avait quitté ce monde, elle ne savait plus à qui
confier son précieux double des clés.
Elle inspira longuement, sortit sur le palier et descendit les quelques marches qui
permettaient de rejoindre la cour intérieure de l’immeuble. C’est alors qu’elle le vit et
se figea, emplie d’effroi !
Assis au milieu de la cour, il la regardait fixement de ses yeux cuivrés aux reflets
orangés. Sans la quitter des yeux, le chat noir s’étira interminablement. Il portait à
son cou un collier de cuir rouge orné d’un grelot qui tinta brièvement lorsqu’il se
redressa. Levant une de ses pattes qu’il pointa vers elle, il entreprit de se lécher les
coussinets avant de se frotter l’oreille, recommençant encore et encore son manège
hypnotique. Angèle tressaillit lorsqu’elle sentit s’immiscer le long de ses jambes un
frisson aussi soudain que glacial. Elle réagit alors à ce qu’elle savait être un sortilège.
Les deux mains dans ses poches, elle caressa sa patte de lapin et égrena son
chapelet tout en murmurant d’une voix chevrotante une prière de protection. Voyant
que le matou s’immobilisait, elle s’enhardit, prononçant les paroles d’une voix plus
assurée. Puis elle brandit le crucifix, s’écriant d’une voix forte :
- « Vade retro Satanas ! »
Le chat se hérissa, feula, rabattit ses oreilles et soudain fit demi-tour en miaulant
d’une voix criarde.
Angèle reprit son souffle, s’appuya un instant contre le mur et se félicita d’avoir
chassé cette incarnation du Diable. Elle s’assura toutefois qu’il était hors de vue
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