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N° 33                       La solitude des anges



               Il pleuvait ce jour-là lorsqu’elle s’est levée

                   -  « Ah ! au fait quel jour sommes-nous ? » se dit-elle.
                   -  « Vendredi 13 ?! Zut ! »

               Elle n’aimait pas les vendredis 13 qui lui réservaient toujours des surprises.

               Appuyée au chambranle de la fenêtre de sa chambre à coucher, elle observa la pluie
               fine qui scintillait dans le halo du lampadaire érigé, tel un phare, sur le trottoir d’en

               face. Le jour ne tarderait pas à se lever. Aucun bruit ne venait troubler la quiétude de
               ce moment particulier où la nuit cède la place à l’aube,  par  petites touches d’une

               lumière timorée. Elle  observa sa chambre,  devinant sur sa table de nuit le réveil
               mécanique dont les aiguilles fluorescentes indiquaient 6h30. Accroché au-dessus du

               lit, le crucifix formait une ombre un peu oblique sur le mur. Elle fit quelques pas pour

               le redresser puis joignit ses mains et murmura une prière avec ferveur. Aujourd’hui
               plus que d’habitude, elle allait devoir redoubler d’attention pour rester protégée des

               esprits malfaisants.  D’autant plus qu’on  était  un vendredi, son jour  de sortie
               hebdomadaire et qu’elle serait de ce fait exposée au monde extérieur. Le hasard du

               calendrier ne l’arrangeait pas,  mais elle se sentait parée  pour  faire face à toute

               éventualité. Depuis le temps qu’elle étudiait la question, Angèle était devenue une
               spécialiste de la protection contre le mauvais œil. Elle savait donc quoi faire pour se

               préparer avant de sortir.
               Se signant par trois fois, elle trottina jusqu’à la cuisine, décrocha sa petite casserole

               et fit chauffer de l’eau pour préparer son thé. Dès que le liquide frémit, elle coupa le

               gaz pour ne pas gaspiller. Dans une coupelle au-dessus de l’évier, elle préleva un
               sachet maintes fois essoré et attendit patiemment que le breuvage se teinte assez

               pour  masquer le goût détestable  de l’eau chlorée. Puis  elle  émietta  dans la  tasse
               ébréchée son dernier quignon de pain et le laissa ramollir avant de le manger.

               Dans le bac à légume de son réfrigérateur vide, qu’elle avait éteint la veille, elle
               préleva l’eau du dégivrage et arrosa son ficus, comme chaque vendredi matin.

               Le jour avait chassé la nuit et la lumière blafarde permettait d’y voir suffisamment

               pour se passer de lumière et économiser l’électricité. Elle s’habilla, revêtant ses plus
               beaux vêtements, ceux qui autrefois avaient si fière allure. Bien  que  désargentée,

               elle portait une attention particulière à son apparence le seul jour de la semaine où


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