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Clément l’aimait aussi Marius, mais jusqu’à preuve du contraire, et puisqu’il fallait parfois instaurer
une hiérarchie, c’était elle son maître principal.
Tournant en rond dans le hall du vieil immeuble, le chien se mit à pousser de petits gémissements
semblables à des pleurs inconsolables.
« Tu peux attendre deux minutes, oui ? »
Arrivée à ses côtés, Albane prépara la laisse tout en lui ordonnant sèchement de se taire. Mais
son impatience ne fit qu’augmenter, et alors qu’elle allait attraper son collier, il aboya si fort que
l’écho se répercuta sur chacun des trois paliers supérieurs. Contrariée et soucieuse de rester en bons
termes avec le reste de la copropriété, elle ouvrit la porte dans un réflexe, sans avoir eu le temps de
lui attacher sa laisse. Une bourrasque s’engouffra et lui fouetta le visage au moment où Marius
déguerpissait hors de l’immeuble plus prestement encore qu’un courant d’air.
Sous la drache avec sa laisse pendant dans le vide, elle resta interdite un instant et ne parvint pas
à voir dans quelle direction il avait pu filer.
« Mariol ! Au pied ! »
Elle essaya de crier sans réveiller toute la rue, mais après quatre ou cinq appels, il ne réapparut
pas. Progressivement, son inquiétude commença à se faire aussi forte que sa colère. Le bruit de la
pluie empêchait certainement le chien de l’entendre, et dans ce quartier où tous les bâtiments se
ressemblaient, allait-il seulement pouvoir retrouver son chemin ? Bientôt les voitures prendraient
possession de la ville avec tout ce qu’elles peuvent avoir d’angoissant pour un jeune chien perdu.
Déjà complètement trempée, elle décida de faire leur tour habituel en l’appelant tous les dix pas,
en vain. Sous les porches abrités, entre les poubelles, jusqu’en dessous des voitures stationnées, elle
s’arrêtait absolument partout, mais à l’évidence, il s’était échappé plus loin.
Lentement, la colère qu’elle ressentait se dirigea contre elle. Albane était la seule responsable et
elle s’en voulait à mort. Marius ne demandait qu’à sortir, et en ouvrant la porte avant de l’avoir
attaché, c’était comme si elle lui avait donné le feu vert.
Avait-il peur ? La cherchait-il ?
Elle tendait l’oreille, convaincue qu’il l’appellerait lui aussi, et après avoir refait le tour du
secteur, elle vit passer au loin une masse sombre sous la lumière d’un lampadaire au bout de la rue.
« Marius ! Viens là ! »
L’averse martelait la ville, si bien que sa voix n’était peut-être pas arrivée jusqu’à la chose
qu’elle avait aperçue. Ni une ni deux, elle se mit à détaler dans sa direction, sans se préoccuper cette
fois ni des décibels ni du voisinage endormi. Le lampadaire se dressait à une centaine de mètres,
soit environ vingt secondes d’un sprint sur revêtement urbain humide. Au moment de traverser, un
bruit de moteur retentit dans son dos, puis celui de la gomme agrippant l’asphalte la fit sursauter.
Elle se trouvait à une dizaine de mètres de la voiture, trop loin pour que ce freinage soudain vise à
l’éviter, alors pourquoi le conducteur avait-il pilé ? Craignant qu’il n’ait heurté Marius, elle se figea
et regarda dans sa direction sans parvenir à voir sous ses roues. Son cœur s’emballa à la seconde où
la portière s’ouvrit pour laisser une silhouette sortir de l’habitacle.
« Eh ! Fit une voix grave »
L’homme se précipita dans sa direction et tandis qu’elle allait toute fébrile l’interroger sur la
raison de son arrêt brutal, le bras du conducteur s’éleva dans la lueur artificielle de la rue. Elle eut à
peine le temps de distinguer la forme du poing s’approchant de son visage, qu’une douleur intense
lui irradia la mâchoire. En une fraction de seconde, elle se retrouva étalée sur le trottoir détrempé
avec cet inconnu qui l’empoignait férocement. D’une clé de bras, il la souleva et entrava sa bouche
à l’intérieur de son coude pour l’empêcher de crier.
« Reviens là, morue ! »
Sur ces mots il la traîna jusqu’à sa voiture et la fit monter de force sur la banquette arrière.
L’accélération fut instantanée, et le visage encore tout endolori, elle n’osa se redresser pour
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