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N° 30 TEMPS DE CHIEN
Il pleuvait ce jour-là lorsqu’elle s’est levée.
« Ah ! Au fait quel jour sommes-nous ? » se dit-elle. « Vendredi 13 ?! Zut ! »
Elle n’aimait pas les vendredis 13 qui lui réservaient toujours des surprises.
Marius venait d’entrer dans sa chambre, et elle dormait alors si profondément qu’il dut se
résoudre à monter sur elle pour la faucher en plein sommeil paradoxal. Albane entendit aussitôt
qu’une pluie battante pilonnait les volets et ses yeux se perdirent dans le halo flouté du radio-réveil.
Luttant pour ne pas les refermer, elle parvint à lire l’heure après trois ou quatre clignements
laborieux. « 05:36 ».
« T’abuses ! Tu viens de plus en plus tôt ! »
Il descendit du lit d’un bond et s’éclipsa dans la pénombre du couloir. À côté d’elle, Clément
remua brièvement puis elle entendit à sa respiration qu’il s’était déjà rendormi. Toute embrumée,
elle essaya de passer une chaussette à l’aveuglette, mais le talon se retrouva immanquablement du
mauvais côté, et cette désagréable sensation d’avoir le pied entravé dans un étau de coton donna le
tempo de cette journée maudite.
Elle quitta la chambre sur la pointe des pieds et se dirigea à tâtons jusqu’au salon où Marius était
allé s’allonger sur le canapé en attendant qu’elle émerge. Avant de faire couler son premier café de
la matinée, elle prit sa voix la plus mielleuse pour tenter une ultime approche.
« Tu ne veux pas redormir un petit quart d’heure ? »
Silence. Elle connaissait la réponse, et lui-même savait qu’elle n’y croyait pas un instant. Alors
résignée, elle alluma la cafetière. Celle-ci ronronna pendant qu’Albane passait une jambe dans son
pantalon. Enfin, l’odeur réconfortante du marc l’attira.
Au travers des volets en pointe de la cuisine, elle constata que l’averse battait son plein. Le vent
faisait vaciller une pluie anarchique dans la nuit sans fin de ce novembre glacial. Il s’en fallut de
peu pour qu’elle balance son café dans l’évier et qu’elle s’en aille retrouver sa couette. Mais elle
avait une responsabilité à assumer. Vaillante, elle siffla son carburant et se rendit dans l’entrée pour
enfiler chaussures et imper.
« Allez Mariol, au pied ! »
Il jappa d’enthousiasme et accouru maladroitement en glissant jusqu’à sa maîtresse sur le parquet
lustré. La queue frénétique, il se mit à lui donner de petits coups de truffe sur le bras, comme pour
la prier d’accélérer le mouvement.
« Minute ! Tu m’empêches de faire mes lacets. Assis ! »
Son train arrière descendit pour effleurer le sol l’espace d’un quart de seconde avant de reprendre
aussitôt sa position starting-blocks. Il lui avait obéi. Un peu. C’était encore un jeune chien assez
indiscipliné, alors toutes les victoires, même les plus petites, étaient bonnes à prendre.
« Bon, t’es prévenu, il pleut des cordes, on sort deux minutes et basta. »
Les yeux de l’animal ne se décollaient plus de la poignée de porte, on eut dit qu’il voulait à tout
prix aller respirer après une nuit d’apnée. À cet horaire très matinal, elle s’abstenait de l’attacher
pour éviter qu’il n’aboie dans la cage d’escalier, aussi, lorsque la porte fut ouverte, il détalla les
deux étages en moins de temps qu’il n’en faut pour dire « pas bouger ! ».
En descendant péniblement, Albane pensait à ses voisins qui dormaient à poings fermés, tout
comme Clément et à peu près chacun des habitants du quartier. Le chien, c’était son idée à elle,
alors la sortie de six heures sous la flotte par un froid de canard ne pouvait être que pour sa pomme.
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